Soldat allemands inhumés dans le carré militaire du cimetière St. Lazare (Bourges)

Assistant Directorate of Intelligence (K) - Renseignement Anglais / Avord 1941

    Durant la guerre les anglais – comme les allemands – ont eu eux aussi un service qui interrogeait les prisonniers de guerre avant que ceux-ci ne soient envoyés vers un camp permanent (voir : https://airwar-18.blogspot.com/2019/11/centre-dinterrogation-des-aviateurs.html). Celui-ci avait pour nom "Assistant Directorate of Intelligence (K) (ou Direction Adjointe du Renseignement)".

    Le chef des interrogateurs était le Flight Lieutenant (ou F/Lt.) Samuel Denys Felkin. Il était responsable de la section du renseignement aérien et dirigeait une équipe d'environ cent interrogateurs, hommes et femmes ainsi que du personnel administratif. Felkin avait servi comme pilote durant la Première Guerre mondiale, puis avec les troupes britanniques dans l'Allemagne d'après-guerre. Il parlait couramment l'allemand, qu'il utilisait lors des interrogatoires.

    Il était connu des prisonniers sous le faux nom de "Oberst King" et ce afin de cacher son véritable rôle au sein des services secrets britanniques. Il était d’un naturel facile à vivre et sympathique et il s'efforçait d'exploiter chaque occasion d'obtenir des renseignements des prisonniers. De temps en temps, il emmenait un prisonnier se promener dans les allées de Latimer House (voir ci-dessous) et lui confiait ce qu'il savait sur l'Allemagne. Le prisonnier l’écoutait, ne disant pas grand-chose en retour, mais lorsqu’il retournait dans sa cellule il expliquait souvent à son compagnon d’infortune ce que l'officier anglais savait et précisément ce que lui - le prisonnier - lui avait caché. Cela donnait souvent la clé des informations dont Felkin avait besoin, des conversations enregistrées à l’insu des prisonniers par du personnel à l’écoute (en grande majorité de nationalité allemande, des gens qui avaient fui l’Allemagne Nazie.)

    Voici par exemple des extraits concernant Avord (photo), renseignements communiqués par l'Obergefreiter Max Petry seul rescapé de l'équipage après que son Heinkel He-111 H3 de la 11. Staffel (1G+AF, Werk-Nr.2799) ait été abattu par un chasseur de nuit anglais au sud de Selsey Bill le 8 juillet 1941 : 

    [...] Le IV. /KG 27 est stationné à Avord et a été formé officiellement en avril 1941 à partir de l' Ergänzungsstaffel (Escadrille de conversion opérationnelle) du Geschwader, elle-même déjà présente à Avord lors des 3 derniers mois.

L'actuel Geschwaderkommodore du Kampfgeschwader 27 est le Major ULBRICHT, anciennement Kommandeur du I. Gruppe.

Les officiers du IV. Gruppe sont les suivants :

- Staffelkapitän 10. Staffel      Hauptmann LORENZ

- Staffelkapitän 11. Staffel      Oberleutnant POMMEREN

- Offizier z.b.V. 11. Staffel     Oberleutnant LISSAT

- Staffelkapitän 12. Staffel      Hauptmann NEUEN

Les 4èmes lettres des identifiants avions des Staffeln sont respectivement E, F et G.

Lorsque les trois premiers Gruppen du Kampfgeschwader 27 ont été envoyés en Russie, le IV. Gruppe a reçu l'ordre de fournir 20 appareils et équipages de réserve pour les accompagner. Le vide ainsi créé a été comblé par des équipages entièrement nouveaux et très jeunes. Beaucoup de pilotes ne sont qu’Obergefreiter (Caporal-Chef).

L'effectif actuel est de 10 à 15 équipages et de 6 à 7 appareils par Staffeln. La 11. Staffel est constituée de 10 équipages et de 7 avions. Chaque Staffel intègre au moins 2 équipages ayant une expérience des missions opérationnelles. Dans la 11. Staffel, le Staffelkapitän a effectué un total de 20 vols opérationnels, l’Oberfeldwebel (Adjudant-Chef) HOCHSCHILD, un pilote, 50 vols et le Stabsfeldwebel (Adjudant d’Etat-Major) MICHELSFELDER 90 missions.

Les modèles des avions du IV. /KG 27 sont des Heinkel He-111 H3 ou P2. Sur les 7 appareils appartenant à la 11. Staffel, 4 ou 5 sont habituellement opérationnels.

Le temps passé à Avord est presque exclusivement dédié aux exercices théoriques et pratiques. Une attention particulière est accordée au vol de nuit, pour lequel deux zones sont attribuées au Gruppe. La première zone, destinée aux équipages les moins expérimentés, est délimitée par une ligne Avord / Bourges / Melun / Saint-Dizier. Pour le vol à haute altitude l'entraînement est pratiqué à des altitudes comprises entre 2.500 et 6.100 mètres. Lors des exercices, la sécurité aérienne de la zone survolée en est informée par le poste de commandement.

Dans le passé, des vols de nuit "Mascarade" ont été réalisés par le IV. /KG 27. A cet effet on fait décoller un avion qui une fois en l’air échange depuis différentes positions des signaux radio - comme il est habituel au-dessus de la Manche - avec sa station au sol et d'autres stations radio sur la côte. Un indicatif différent est utilisé pour chaque message radio afin de donner à l’ennemi l'impression qu'un grand nombre d'avions sont en opération. Cette méthode a été largement utilisée pour camoufler le transfert d’unités de France vers le front russe. Son but est de faire croire que les forces en action contre l'Angleterre sont plus importantes que ce n'est le cas en réalité, et de camoufler la direction de l'attaque en cours.

La station radio d’Allouis, près de Paris, est utilisée pour les relèvements. Cette station émet la lettre "A" en superposition à l'onde porteuse.

Aucune communication radio n'est autorisée pendant la mission, mais normalement le premier avion ayant atteint la zone de l’objectif doit envoyer un rapport météo. Deux rapports météo ont été reçus à Avord pendant le vol, le premier vers 2h00 et le dernier à 2h40, quelques instants avant que l’avion ne passe à l’attaque [Note : on parle là du He-111 de l'Ogefr. Max Petry - opérateur-radio à bord].

L’aérodrome est situé à 2 km au Nord-Nord-Ouest du village d'Avord, et comme c'est l'un des rares terrains d'aviation élevé, les conditions de terrain sont généralement bonnes quand ailleurs la visibilité est mauvaise. Il est très étendu et sa partie Nord-Ouest est rarement ou jamais utilisée.

Il n'y a pas de pistes, mais pour les atterrissages de nuit il existe des balisages lumineux Lorenz à environ 60° et 240°. L'un d'eux est invariablement utilisé pour les atterrissages de nuit, de préférence pour les atterrissages d'Ouest-Sud-Ouest à Est-Nord-Est, même si cela signifie atterrir avec le vent. Le balisage lumineux Lorenz ne possède pas d'horizon artificiel. En raison des dispositions du terrain, la croix d’atterrissage n’a pu être positionnée qu'à une seule extrémité et, compte tenu de la déclivité du terrain, on en a également abandonné l’idée.

La radiobalise mobile émettant la lettre "AV" est située à 3 ou 4 km de l'aérodrome, dans l'alignement et au-delà de l'extrémité du balisage lumineux Lorenz. Si les atterrissages se font de l’Ouest-Sud-Ouest vers l'Est-Nord-Est, la balise se trouve à environ 47°01'45" N et 02°35'05" E, au sud de la route Avord-Bourges, et juste à l'ouest d'un croisement de routes. [Note : croisement d’une route du Polygone avec la D-66 - au Sud-Est de Savigny-en-Septaine, direction Crosses.

La surface de l'aérodrome est bonne, mais légèrement bombée, de sorte qu'il n'est pas possible depuis les bâtiments de l'aérodrome de voir les bosquets d’arbres de l'angle Nord-Ouest. Les bâtiments situés juste au Sud de l'aérodrome, ainsi que les casernes utilisées autrefois par les troupes françaises, ont été en grande partie détruits pendant la campagne de France. Les bâtiments qui étaient nécessaires aux Allemands ont été reconstruits ou réparés.

Les hangars à avions situés en bordures Est et Sud ont résisté à la campagne de France. Ce sont principalement les hangars situés en bordure Est, avec leurs toits semi-circulaires, qui ont résisté aux bombes allemandes de 50 kg. Ils sont utilisés par les 10. et 11. Staffeln de la KG 27 et en juillet, une grande quantité de munitions a été stockée dans certains d'entre eux. La 12. Staffel utilise les trois hangars situés plus à l'ouest, en limite sud de l'aérodrome, le quatrième hangar étant utilisé comme atelier. Ces hangars sont de construction métallique. Des murs de protection faits de sacs de sable ont été érigés dans tous les hangars où sont parqués les avions.

La Fliegerhorst-Kompanie et le personnel navigant de rang inférieur logent sur l’aérodrome, les officiers dans un château voisin [Note : le château d'Aubilly].

Le dépôt de bombes est situé dans les bois au nord-ouest de l'aérodrome.

Environ 800 Français sont employés en permanence sur l'aérodrome.

Il est rapporté l’existence d’au moins une batterie de Flak 88mm mais que l’essentiel de la défense de l'aérodrome est constitué de batteries de Flak 20mm. Six à huit d'entre elles sont positionnées sur les toits des bâtiments et des hangars, dont une sur le toit du poste de commandement.

L'aérodrome factice est situé à 5 km au nord-ouest, mais il existe également un aérodrome factice particulier pour Bourges. Des appareils Bloch et de vieux avions de chasse français sont stationnés sur ces aérodromes factices.[...]

    Le F/Lt. Felkin était en poste à Trent Park, puis à Latimer House à partir de juillet 1942. Cette section avait été créée en 1940 afin de gérer les centres où les prisonniers pouvaient être interrogés sur des questions relatives à l’armée et ceux qui nécessitaient un interrogatoire plus poussé était envoyés là.

    L’unité CSDIC (pour Combined Services Detailed Interrogation Centre) a opéré depuis Trent Park du 12 décembre 1939 au 15 juillet 1942, date à laquelle il a déménagé à Latimer House. Trent Park a ensuite été converti en un centre permanent pour prisonniers de guerre allemands de haut rang, un objectif qu'il a rempli jusqu'à sa fermeture le 19 octobre 1945, date à laquelle les interrogatoires actifs ont cessé. L'unité CSDIC a finalement ouvert neuf centres de répartition qui faisaient office de camps de transit. 

    Le centre de répartition No.1 situé à Latimer House ou PWIS (pour Prisoner of War Interrogation Section) ouvre le 15 juillet 1942 et sert aussi de siège au CSDIC mais également de centre de détention pour 204 prisonniers de guerre allemands. Comme les huit autres, le centre dispose de "salles M" (une pièce dotée d’un équipement spécial d'écoute et d'enregistrement) avec une équipe de personnes à l’écoute des conversations.

                                  Samuel Denys Felkin (photo colorisée par mon ami Benoit Paquet)

Notice parue dans la London Gazette en janvier 1946 :

FELKIN, Samuel Denys, A/G/C, MBE (74650, RAFVR) – Office, Chief of the Air Staff, Intelligence- Officer, Order of the British Empire - "Cet officier a rejoint l’Assistant Directorate of Intelligence (K) en août 1939 en tant que commandant en second et, à partir de 1940, il a été à la tête de ce service. Le Group Captain a été responsable non seulement de l'interrogatoire de tous les prisonniers de guerre de la Luftwaffe qui sont tombés entre nos mains dans ce pays, mais aussi de l'organisation et de la supervision de l'interrogatoire des prisonniers de la Luftwaffe capturés au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et sur le continent européen. Grâce à l'efficacité avec laquelle il a organisé et dirigé le travail de son service, l'Etat-major de l'Air a pu contrer avec efficacité de nombreux plans et dispositifs allemands avant qu'ils ne soient lancés contre notre pays. Son service a apporté une contribution importante à notre connaissance des aides à la navigation allemande, à la réduction de l'efficacité des attaques des chasseurs de nuit ennemis contre nos bombardiers et à notre connaissance des armes secrètes allemandes, de sorte que l'ennemi ne nous a pas surpris lors du lancement de ses armes V et n'a pas réussi à les rendre aussi efficaces que prévu. La contribution personnelle du Group Captain Felkin à l'obtention de ces informations, grâce à son énergie et à ses capacités uniques d'interrogateur, a été majeure. Il a personnellement mené la plupart des interrogatoires importants et rédigé les rapports sur des sujets essentiels. À tout moment, il a travaillé très dur et sans relâche, et s'il s'était relâché ne serait-ce qu'un instant, des informations précieuses auraient pu lui échapper."