Soldat allemands inhumés dans le carré militaire du cimetière St. Lazare (Bourges)

Bourges Avord 4 juin 1944

Le calme avant la tempête…
 
Il règne, au soir du 4 juin, une intense activité sur les côtes sud de l’Angleterre ; les troupes alliées embarquent sur les bâtiments de "l’Armada" mais face aux conditions météorologiques désastreuses, un ordre émanant du SHAEF (Supreme Headquarter Allied Expeditionary Force) parvient aux différents commandements, leur indiquant que l’opération OVERLORD est retardée de vingt-quatre heures.
 
Calme plus que relatif pour Avord et Bourges (ainsi que Romorantin) qui, dans la soirée, viennent d’être bombardés par les Heavies, les bombardiers lourds de la 8th Air Force américaine. Les responsables sont les quadrimoteurs B-24 Liberators des 392nd et 492nd Bomb Group (BG) pour ce qui concerne la base d’Avord et pour Bourges, deux groupes déjà familiers du ciel Berrichon, les 458th et 467th BG qui en sont à leur troisième mission sur l’aéroport.
 
Les décollages en Angleterre sont intervenus autour de 15h15 (heure anglaise) puis les quadrimoteurs ce sont rassemblés au-dessus de leurs bases et c’est alors qu’ils se trouvent dans la phase de regroupement en formation de combat ou Combat Wing (CBW) qu’un accident mortel se produit. L’avion du Lt. Raymond J. Sachtleben, appartenant au 492nd BG, décroche alors qu’il tente de regrouper autour du leader.
 
Le Lt. Donald "Herk" Taylor, également du 492nd BG, se souvient de l’incident : "J'ai vu toute l’action se dérouler face à moi lorsque cet avion est parti en vrille alors que nous nous assemblions au-dessus des nuages. J’avais troué la couche nuageuse à probablement 4600 mètres et le regroupement intervenait à 4900-5500 mètres. J’étais à la poursuite du leader qui avait amorcé un virage à gauche et j’ai vu un appareil devant moi, à l'intérieur du virage, qui approchait un peu trop vite de ce dernier. Je l’ai vu passer sous le leader, puis filer à l'extérieur du virage et ensuite son pilote a cabré trop brusquement. Je savais qu’au moment où il faisait cela, avec un chargement de bombes, il allait tout droit vers les ennuis. Le bombardier a basculé vers la droite puis est tombé immédiatement comme une pierre, disparaissant dans la brume. Au debriefing, les officiers m'ont dit qu'une aile s’était détachée et que tout l’équipage avait été tué dans la gigantesque explosion qui s ‘était produite lorsque l’avion avait touché le sol."
 
En plus de ces dix hommes d’équipage, deux pompiers du 2033rd Engineers Fire Fighting Platoon seront tués par les explosions de munitions alors qu’ils tentent d’éteindre l’incendie. Le petit miracle, qui permet de réunir puis d’assembler quotidiennement ces centaines de quadrimoteurs lourdement chargés avant chaque franchissement de la côte anglaise, n’a pas eu lieu aujourd’hui.
 
Le rassemblement des 2nd CBW (Romorantin), 14th CBW (Avord) et 96th CBW (Bourges) se termine sans autres incidents puis le flot des B-24 Liberators franchit la côte anglaise à hauteur de Selsey Bill. Les mitrailleurs ont à peine le temps de tester leurs armes lors du passage de la Manche que la côte française est franchie entre Bayeux et Caen. C’est le moment où rejoignent les premiers Little Friends, l’escorte des P-51 Mustangs du 357th Fighter Group (FG) commandés par le Colonel Hayes et qui vont les accompagner jusqu’à l’objectif, pour le 96th CBW tout au moins.
 
A noter que les bombardiers allant sur Avord sont les seuls à lâcher des Windows, ces feuilles d'aluminium sur lesquelles les ondes se reflètent, leur quantité créant une surface faisant croire aux Allemands à une force d’attaque plus importante que ce qu’elle n’est en réalité.
 
L’activité de la Luftwaffe est inexistante durant cette soirée de début juin, ce qui n’est pas pour déplaire aux Heavies mais ce qui n’enchante guère les pilotes de chasseurs. Dans le ciel de Montoire, l’escorte vient encore se renforcer des P-47 du 56th FG commandé par le Lt. Colonel Gabreski qui aperçoivent également dans le lointain d’autres formations de P-47.
 
Peu de temps après, le 2nd CBW se sépare des deux autres Wing ; il va être pris en charge par les avions aperçus au loin par les pilotes du groupe Gabreski et qui ne sont autres que les P-47 du 78th FG que commande le Captain Hunt qui, en attendant leurs Heavies, tournaient en rond depuis une dizaine de minutes.
 
Les 14th et 96th CBW filent maintenant vers l’est et Beaugency afin de tromper les allemands sur leurs véritables intentions. Arrivés à l’ouest de la ville ils piquent au sud sud-est et entament leur séparation au nord de Vierzon, une ville et un triage qu’ils savent défendus par des batteries de Flak. A partir de cet instant, tous les CBW se disloquent et chaque BG va prendre sa position d’attaque puis se préparer au Bomb Run, la course rectiligne qui va le mener à la verticale de leur objectif.
 
Sur l’aérodrome de Bourges, la Jagdgeschwader 105 (JG 105), occupe le terrain pour encore quelques jours.
 
L’activité semble ralentie car la reconnaissance aérienne réalisée dans la journée par le Lt Cosby à bord d’un Lookheed F-5C du 7th Photographic Reconnaissance Group (PRG) ne révèle que deux Heinkel He 177 (…dont l’un n’a plus sa section arrière de fuselage !), un Junkers W34, quatre monomoteurs non identifiés ainsi qu’un biplan.
 
Une activité réduite qui est peut-être due au fait que cette unité vient de perdre en début d’après-midi un avion et son pilote - L’Uffz. Wembacher de la 3./JG105 - abattu par des chasseurs appartenant au 354th FG (nota : les américains venaient de bombarder le triangle ferroviaire de Marmagne/Pont-Vert).
 
Quant à la base d’Avord, le I. Gruppe de la Kampfgeschwader 66 (I./KG 66) y est encore présent (Stab, 1. et 2. Staffeln). L’opération "Steinbock", les missions de bombardement du sud de l’Angleterre, s’est achevée le 29 mai et l’unité est sur le point de repartir pour Montdidier (Somme), un terrain qu’elle a continué à utiliser comme aérodrome de transit durant toute cette opération. En ce début juin, le Gruppe est doté de trente et un bimoteurs Junkers, soit vingt-deux Ju 188 E et neuf Ju 88 S-1.
 
A Bourges l’alerte est donnée à 19h50 (…et ne sera levée qu’à 21h10). Les bombardiers du 458th BG suivis de ceux du 467th BG arrivent vingt minutes plus tard, ayant survolé La-Chapelle-Saint-Ursin avant d’aborder l’aéroport. Les avions des deux Bomb Group sont chargés de bombes à fragmentation et un appareil du 389th BG, prévu pour attaquer Romorantin mais qui, en raison d’un problème quelconque s’est rattaché aux avions de Bourges, transporte douze bombes explosives de 225kg.
 
L’objectif, l’aire de dispersion d’avions au sud-est (le long de la route de Trouy) couverte d’abris pour avions reliés entre eux par de nombreuses pistes de roulement, est bombardé depuis 4500-4800 mètres d’altitude. L’usine reçoit quelques projectiles, une dizaine d’abris pour avions sont touchés mais quelques bombes vont malheureusement manquer assez largement leur cible, causant de nombreuses victimes civiles.
 
En témoigne le S/Sgt. Hansbury, mitrailleur de queue au 467th BG et qui en est à sa cinquième mission après avoir déjà effectué un tour d’opération au sein du 91st BG : "Nous sommes retournés en France, à Bourges. Aujourd’hui nous avons été sous oxygène durant six heures et nous avons bombardé un aérodrome. C’est à dire que nous l’avons visé mais que pour être honnête, pas une seule bombe ne l’a touché. J'ai eu honte de me trouver à bord de ce bombardier leader ; quelle belle engueulade doit avoir essuyée le responsable de cette erreur !"
 
C’est certainement une méprise de ce type, les autres avions larguant au signal du leader, qui est à l’origine des victimes retrouvées parmi les Berruyers qui se promenaient le long du canal. Des bombes lâchées sur les bords du canal, à 200 mètres environ en amont de l’écluse du Grand Mazières, causent la mort de plusieurs personnes et de deux autres - route de Lazenay.
 
Extrait du journal La Dépêche du Berry (5 juin 1944)
 
L’AVIATION ANGLO-AMERICAINE BOMBARDE BOURGES ET SES FAUBOURGS
On compte jusqu’à présent 14 morts et 20 blessés Bourges, 5 juin – Hier, à 20 heures, l’aviation anglo-américaine a de nouveau bombardé Bourges. Une quantité innombrable de bombes de tous calibres a été déversée sur la périphérie sud-ouest de la ville. Les dégâts causés aux immeubles n’ont été que de peu d’importance mais de paisibles promeneurs qui travaillaient dans leurs jardins, ont été atteints en grand nombre. On compte jusqu’à présent 14 morts et une vingtaine de blessés parmi la population civile. 
 
Après leur passage sur l’aéroport, où la Flak s’est montrée très timide et imprécise, les bombardiers virent à gauche pour gagner le Rally Point, le point de ralliement situé au-delà des Aix-d’Angillon, puis la direction de Mer - Beaugency, secteur où ils vont retrouver les autres Combat Wing. C’est aussi au nord de Bourges que les P-51 Mustang du 357th FG quittent ces Heavies.
 
Les bombardiers du 14 CBW ont foncé quant à eux vers Avord. Ils sont passés au large de Saint-Germain-du-Puy puis au-dessus d’Osmoy mais dans les abords de la base, la Flak se montre très agressive, comme elle l’a été lors des précédentes attaques américaines. Les B-24 Liberators du 392nd BG qui mènent le Bomb Run sont chargés de bombes explosives de 225kg ainsi que onze appareils du 492nd BG, les autres avions étant porteur de bombes à fragmentation de 55kg.
 
Ce sont les parties sud (hangars double-tonneaux) et ouest (zone de dispersion) qui sont visés cette fois-ci mais quelques bombes tombent aussi sur les hangars voûtes Freyssinet (le long de la route de Farges-en-Septaine) et dans les champs à proximité, faisant trois blessés civils dont un grave.
 
 La "Fliegerhorst" d'Avord sous les bombes.
 
Le Lt William “Bill” Sparks, navigateur du Lt. Taylor (492nd BG) se souvient: "Nous avons rencontré une Flak extrêmement dure et précise au-dessus de l’objectif mais j’ai le sentiment que ce 4 juin était un jour de chance pour notre équipage. Nous transportions des bombes à fragmentation, des munitions très dangereuses, pouvant exploser inopinément lorsqu’elles tombent d’une faible hauteur. Au-dessus de l’aérodrome, l'une des portes de la soute à bombes a refusé de s’ouvrir et nous avons alors largué celles-ci à travers la trappe de soute. A notre retour, lors du debriefing, ils nous ont dit que nous n’aurions pas dû faire ça…parce qu’elles auraient pu exploser !"
 
Bombardé depuis une altitude comprise entre 5000-5500 mètres et malgré les tirs de défense anti-aérienne, la plupart des projectiles font mouche. Les zones visées ont été tapissées de bombes diverses et deux des hangars double tonneaux ainsi que deux hangars voûte n’ont pratiquement plus de toit. Trois des bimoteurs Junkers de la K.G. 66 qui se trouvaient dans des hangars sont détruits mais au regard des avions en dotation au sein de cette unité, les pertes sont faibles.
 
L’aérodrome ayant été bombardé douze jours auparavant, il est vraisemblable que les allemands aient pris des dispositions pour préserver leurs appareils car les pilotes du 56th FG qui assurent la protection des Heavies signaleront à leur retour avoir aperçu vingt-cinq à trente bimoteurs non-identifiés au sud du terrain bombardé.
 
Après leur passage sur la base les bombardiers virent à gauche pour gagner le Rally Point situé au-delà de Baugy, puis la direction de Mer - Beaugency, secteur où ils retrouvent les autres Combat Wing. Durant ce laps de temps, l’un des Squadron du 56th FG les a quittés après l’attaque de la base puis un autre le fera aux abords de Beaugency avant que les derniers P-47 du groupe ne rompent l’escorte au Sud de Chartres.
 
Les Liberators ne sont pas pour autant seuls car les P-47 du 353rd FG commandés par le Major Hoey les ont rejoints vers Blois. Comme les bombardiers étaient en retard, le 353rd FG a accompagné deux Bomb Group jusqu’à Bourges avant de revenir à son point initial de rendez-vous. L’escorte se renforce encore lorsque arrivent le 2nd CBW (Romorantin), accompagné des chasseurs P-47 du 78th FG.
 
Aux environs de Blois les trois CBW sont encore rejoint par les P-51 Mustang du 4th FG dirigés par le Major Blanding qui vont les accompagner jusqu’au milieu de la Manche, lorsqu’ils se disperseront par Bomb Group pour rallier leurs bases. Quelques minutes après l’arrivée de ce renfort, les P-47 du 353rd FG quittent le flot de bombardiers au sud de Vendôme. Les Combat Wing s’apprêtent maintenant à quitter le territoire ennemi en passant à l’Est de Caen lorsque les pilotes du 4th FG aperçoivent ceux-ci effectuer un virage à gauche, une manœuvre qui les positionne juste au-dessus de la ville. La Flak de Caen ouvre aussitôt le feu et se rappelle à leur bon souvenir mais aucune perte n’est à signaler.
 
Après avoir passé cette ville, l’escorte est interrompue par les Thunderbolt du 78th FG puis à l’approche des côtes anglaises par les Mustang du 4th FG au moment où les Bomb Group se séparent, chacun s’apprêtant à un atterrissage de nuit dans des conditions météo exécrables.
 
Après un atterrissage souvent émaillé d’incidents, surtout pour les appareils revenant d’Avord, les équipages signalerons que les conditions météo au retour étaient pires que celles annoncées lors du briefing. En effet plusieurs des bombardiers ayant attaqué la base d’Avord sont durement touchés comme en témoigne l’équipage du Lt. White (392nd BG) qui, son avion au circuit hydraulique hors-service, devra abandonner l’appareil au-dessus de l’Angleterre. L’heure tardive et la météo sont aussi à l’origine de dégâts mineurs à l’instar du Lt. Vogel (458th BG) qui atterrit son train avant non sorti. Selon lui, tous les témoins lumineux étaient au vert et la tour de contrôle n’a pu le prévenir car il faisait trop sombre.
 
L’évaluation des dommages sur Avord et Bourges n’interviendra que le 8 juin suivant lors d'une mission de reconnaissance réalisée à bord d'un Spitfire PR XI par le Major Haugen du 14th Squadron / 7th PRG. 
 
Quelques heures après, le Capt. Dixon, de la même unité et toujours à bord d'un Spitfire PR XI, viendra lui aussi survoler les deux aérodromes. Cette deuxième mission s'est révélée nécessaire car durant la précedente, des formations nuageuses masquaient les deux aérodromes et ne permettaient pas une bonne appréciation des dégâts.