Soldat allemands inhumés dans le carré militaire du cimetière St. Lazare (Bourges)

Bourges 10 avril 1944

Le 9 avril 1944 plusieurs Bomb Group de la 8th Air Force basés en Angleterre sont mis en alerte sur leurs terrains respectifs. 
 
Le 93rd Bomb Group, des vétérans qui ont bombardé la raffinerie de Ploesti (Roumanie) en août 1943, le 446th Bomb Group qui a débuté ses missions en décembre 1943, les 448th Bomb Group, 458th Bomb Group et 466th Bomb Group qui comptent déjà quelques missions à leur actif et enfin le 467th Bomb Group qui entame son tour d’opération au-dessus du théâtre Européen par cette mission sur Bourges.
 
Voici un extrait de son journal de marche : "A dire vrai, la tension est montée d’un cran à l’approche de notre première mission. Malgré une préparation minutieuse et de nombreux contrôles, personne ne pouvait être sûr que l’organisation d’une telle force aérienne se passerait sans problèmes. Chaque homme impliqué dans la préparation au sol des avions avait à cœur d’effectuer au mieux sa part de travail et le personnel volant se demandait anxieusement comment il allait se comporter durant cette première mission."
 
Lundi 10 avril 1944, les équipages assignés pour la mission ont appris quel était leur objectif lors du briefing, voici ce qu’en dit le journal du 467th BG : "Les équipages sont tous réunis dans la salle de briefing pour connaître notre destination du jour. Sur le mur du fond une carte de l’objectif est cachée par un rideau et nous attendons encore l’officier des renseignements qui a dû faire un saut vers la base voisine de Horsham pour y récupérer des photographies de l’objectif. Enfin le briefing commence, le rideau est tiré et la carte nous dévoile son secret : Bourges, une ville du Centre de la France." (Note : l'objectif secondaire - si Bourges ne pouvait être pour quelque raison bombardé - est la base d’Avord).
 
Il est maintenant aux environs de 6h30 et les bombardiers B-24 Liberator lourdement chargés de bombes décollent de leurs différentes bases à intervalle de 30 secondes. Après un dernier survol en formation serrée au-dessus de leurs terrains respectifs, les bombardiers s’en vont rejoindre la zone de rassemblement de tous ces Bomb Groups, plusieurs Groups devant se constituer en Combat Wings, ce qui n’est pas une affaire de tout repos.
 
Ce matin là un autre Combat Wing est prévu pour attaquer Tours et ses ateliers de réparations d’avions. Un de ses composants, le 445th Bomb Group et ses 25 B-24, se retrouve en retard et donc mal placé pour prendre sa place dans cette formation. Ne pouvant rejoindre son Combat Wing et pour éviter de se retrouver isolé, l’avion leader ordonne à ses pilotes de se joindre aux groupes d’avions les plus proches d’eux. C’est ainsi que le 445th se retrouve assemblé avec l’un des deux Combat Wings qui vont attaquer Bourges.
 
La route depuis la zone de rassemblement fait passer le flot d’avions au sud-est de Londres avant de franchir la côte anglaise aux environs de Plymouth. Au-dessus de la Manche les mitrailleurs vérifient une nouvelle fois le bon fonctionnement de leurs tourelles avant d’aborder la côte ennemie qui est franchie vers 9h00 au voisinage de Cabourg. Conformément aux indications reçues lors du briefing, les Combat Wings pour Tours prennent un autre cap et un groupe de chasseurs P-47 Thunderbolt du 78th Fighter Group arrive afin d’assurer la protection des bombardiers durant cette partie du vol. Le 78th quitte les B-24 entre Vendôme et Blois, remplacé par les P-51 Mustang du 355th Fighter Group dont un des Squadron, en supplément à sa mission d’escorte, doit mitrailler le terrain d’aviation juste après le bombardement.
 
Au sud-est d’Amboise les deux Combat Wings se positionnent l’un derrière l’autre avant d’aborder un large virage dans le voisinage de Châteauroux et de prendre le cap vers Issoudun ou c’est au tour des Bomb Group de se placer en file indienne. A partir de maintenant c’est le Bomb Run, une course rectiligne vers l’objectif qui verra l'opérateur bombardier de chaque Liberator prendre la main sur le pilote. Les soutes sont ouvertes et durant cette manœuvre quelques bombes tombent sur la commune de St Ambroix et près du lieu-dit Le Châtelier à St Florent mais fort heureusement sans causer de victime civile. A 10h12, le ciel est zébré par le tir des premières fusées de chaque avion leader qui indique qu’il lâche ses bombes donnant ainsi le top aux autres avions de son Squadron.
 
Les premiers tirs sont trop courts et c’est l’extrémité sud-ouest du terrain qui est touchée ainsi que les hangars et aires de dispersion d’avions côté chemin de Villeneuve. Les Squadrons suivants vont rectifier leurs paramètres et maintenant c’est l'usine aéronautique S.N.C.A.C. ainsi que la cité jardin de l’aéroport qui subit l’orage de feu. Voici ce qu’en dit le 2nd Lt. Scorza du 458th Bomb Group, navigateur du B-24 Admirable Little Character "…j’ai une belle vue sur l’objectif avant que nos bombes ne soient larguées et je vois très bien nos projectiles détruire un grand atelier ou toutes sortes de choses montent dans les airs."

Bourges, 10 avril 1944 - Bombardier B-24 Liberator d'un Bomb Group américain vu depuis un autre appareil alors qu'il passe à la verticale de l'aérodrome. (Source : IWM London)
 
Le 445th Bomb Group, septième et dernier groupe à bombarder l’objectif, effectue son attaque à 10h17 mais un seul Squadron lâche ses projectiles qui tombent trop court et manquent l’usine. Il faut préciser que ses équipages sont un peu perdus car ils n’ont pas suivi le briefing pour cette mission !
 
Un des Squadron du 355th Fighter Group d’escorte, le 354th Fighter Squadron n’attend plus que ce passage pour passer à l’attaque. Les réservoirs supplémentaires largués, les Mustangs emmenés par le Major Kinnard mitraillent le terrain en effectuant deux passages, ce qui se révèle suffisant car entre temps les servants de la Flak, la DCA de défense du terrain, ont repris leurs esprits et la situation devient dangereuse pour les Américains.
 
Dans son rapport le Major Kinnard écrit "…je suis passé une nouvelle fois à travers les fumées du bombardement pour un autre passage mais la Flak commençait à tirer autour de nous depuis une tour et j’ai signalé au Squadron de dégager. Nous avons grimpé vers les bombardiers afin de continuer l’escorte, la densité des fumées plus l’ouverture des tirs en provenance du sol ne m’engageait pas à effectuer un autre passage sans risque."
 
Le  P-51B-5-NA, marques WR-A, serial number 43-6431, "Man O' War" du 354th Fighter Squadron, que pilote le Major Clay H. Kinnard lors de la mission du 10 avril.
 
Les dégâts sont considérables pour l’usine et pour les Allemands ou l’on relève de nombreuses pertes en hommes et matériels. Malheureusement on dénombre aussi quelques victimes parmi la population de Bourges et ce malgré l’alerte et le message radio diffusé la veille par la radio de Londres.
 
Voici ce que mentionne le journal de guerre de la Flugzeugführerschule B 15, l’école de pilotage basée sur l’aéroport à cette époque : "L’alarme aérienne est déclenchée aux environs de 09h53. De 10h12 à 10h19 l’aérodrome est attaqué par des vagues de 13 à 18 avions évoluant à 4000m d’altitude qui larguent des bombes explosives de gros et moyen calibre ainsi que des bombes incendiaires. Au même moment douze Mustangs effectuent une attaque à basse altitude et incendient les avions stationnés sur le terrain. Les pertes en personnel de l’école s’élèvent à six morts. L’usine est complètement détruite. A l’intérieur du hangar de la chaîne de montage il y a d’importants dommages. Les bâtiments vie situés sur l’aérodrome (pratiquement vides suite à leur évacuation), la direction de l’école et le contrôle aérien sont détruits à environ 70%. L’eau et l’électricité sont coupées. Les baraquements d'instruction sont simplement endommagés.Les pertes en avions sont les suivantes : Bombardier moyen He111 (2 sont totalement détruits, 5 nécessitent une remise en état et 3 sont légèrement endommagés) ; Trimoteur Ju52 (1 est totalement endommagé) ; Bimoteur Fw58 (8 sont totalement détruits, 2 nécessitent une remise en état et 2 sont légèrement endommagés) ; Bimoteur Si204 (1 est totalement détruit, 6 nécessitent une remise en état, 1 est moyennement endommagé et les 2 autres plus légèrement). Les pistes du côté nord ont reçu plusieurs impacts de bombes mais le côté sud est provisoirement opérationnel."
 
Les chasseurs américains filent maintenant vers les 157 bombardiers Liberators qui se sont regroupés au point de ralliement situé à la verticale de Rians et qui font route vers Aubigny sur Nère ou va les rejoindre un autre groupe de chasseurs d’escorte, les P-47 Thunderbolt du 356th Fighter Group.
 
Un peu après Blois, la formation qui a bombardé Orléans (Tours, leur objectif principal étant couvert, ils ont bombardé la base d’Orléans-Bricy, leur objectif secondaire.) se joint au flot des bombardiers et chasseurs d’escorte de retour de Bourges. Au sud-ouest d’Evreux une attaque de la chasse allemande entraîne la perte d’un B-24 et d’un chasseur d’escorte puis la côte française est franchie sans autre incident près du Havre ou quelques tirs de Flak sont toutefois signalés.
 
A l’approche des côtes anglaises les deux groupes de chasseurs d’escorte abandonnent les bombardiers qui vont continuer seuls leurs routes vers leurs bases de départ.
 
Vers 11h30 un avion de reconnaissance américain du 7th Photographic Reconnaissance Group piloté par le Major Haugen du 27th Squadron vient survoler le terrain et l’usine. Il ramènera des clichés qui permettront aux services de renseignements de visualiser les résultats de l’attaque et d’évaluer les dégâts aux installations.
 
Pour les allemands la remise en état du terrain et des installations a déjà commencé. Le journal de la Flugzeugführerschule B 15 mentionne : Le déblayage des routes d’accès et du terrain a commencé immédiatement avec le renfort des forces de la Direction des constructions, des soldats de l’école de pilotage et du régiment de parachutiste stationné actuellement à Bourges. Pour le lendemain 11 avril et pour les jours suivants, des civils Français seront réquisitionnés.
 
Et pour ce qui concerne la journée du 13 avril on y lit : Les victimes du bombardement ont été inhumées à 15h00 au cimetière des morts au champ d'honneur de Bourges. (Note : Il existait un carré militaire allemand au cimetière St. Lazare de Bourges).