Soldat allemands inhumés dans le carré militaire du cimetière St. Lazare (Bourges)

Bourges et Avord 25 juin 1944

Ce 25 juin 1944 est une journée surchargée pour la 8th Air Force américaine. En plus des opérations sur la Normandie, des missions ont été planifiées pour les bombardiers (surnommés Heavies, les lourds) appartenant aux 1st, 2nd et 3rd Bomb Divisions mais devant l’impossibilité de fournir une couverture de chasseurs d’escorte adéquate, les bombardiers de la 2nd Bomb Division ont reçus l’ordre de rester en disponibilité à trois heures. Initialement prévus pour bombarder des aérodromes du sud-ouest ils iront sur des objectifs dans le Pas-de-Calais au retour des autres Bomb Divisions. Toujours à cause de cette faillite de chasseurs, les quadrimoteurs Boeing B-17 Forteresses Volantes de la 1st Bomb Division vont aller sous escorte bombarder des objectifs en région Toulousaine mais elles rentreront en Angleterre, via le bassin d’Arcachon, en survolant l’Atlantique puis en contournant la Bretagne. Quant à la 3rd Bomb Division, ses B-17 sont chargés de parachuter des armes et des munitions aux maquis des secteurs de Limoges, Châlons-sur-Saône, Nantua et Ambérieu-en-Bugey alors que ses quadrimoteurs Consolidated B-24 Liberator iront bombarder les aérodromes de Bourges et d’Avord.
 
Le regroupement des différentes formations s’est effectué sans problème particulier, à part quelques bombardiers qui rebroussent chemin pour problèmes mécaniques. Le 92nd Combat Wing (CBW) chargé de bombarder Bourges est composé de B-24 appartenant aux 486th et 487th Bomb Group (BG) alors que le 93rd CBW qui doit traiter Avord est formé de B-24 appartenant aux 34th, 490th, 493rd Bomb Group. Après avoir quitté les côtes anglaise à hauteur de Selsey Bill et testé leur armes sur la Manche, les quadrimoteurs survolent la partie Est des plages normandes du secteur Gold avant d’arriver sur Bayeux. Au-dessus de Villers-Bocage ils sont rejoints par les chasseurs bimoteurs P-38 Lightning du 364th Fighter Group (FG) commandés par le Lt. Col. Dale, des avions qui accompagneront ensuite les bombardiers prévus pour l’attaque de Bourges. Un changement de cap intervient à l’Est de Laval puis un autre près de Cheverny avant celui prévu à Aubigny-sur-Nère qui est aussi la position du point initial (IP), l’endroit d’où les différents Bomb Group vont démarrer le Bomb Run, la course rectiligne qui va les mener sur leur objectif. Sur la cité des Stuart, le surnom d’Aubigny, le flot de bombardiers a aussi été rejoint par un second groupe de chasseurs d’escorte. Ces P-38 Lightning qui appartiennent au 479th FG sont commandés par le Lt. Col. Riddle et pour débuter leur première partie de mission, ils vont accompagner les quadrimoteurs chargés d’attaquer Avord.
 
L’aérodrome de Bourges est à cette époque occupé par une partie du Geschwader Bongart, une unité spécialement mise en place pour lutter contre les poches de résistance qui se sont constituées en Auvergne, dans le Morvan, le Forez et le Vivarais. Elle est commandée par l’Oberstleutnant Hermann-Josef Freiherr von dem Bongart et pour mener à bien sa mission, l’unité utilise un assortiment hétéroclite d’avions. Au 24 juin elle est dispose des appareils suivants (Avec entre parenthèses les appareils opérationnels) : Junkers Ju 88 - 3 (1) ; Heinkel He 111- 1 (0) ; Dornier Do 217 – 1 (0) [qui pourrait s’avérer être en fait un Dornier Do 17] ; Heinkel He 46 – 4 (2) ; Messerschmitt Bf 109, 5 (2) ; Messerschmitt Bf 110, 4 (0) ; Reggiane Re. 2002, 35 (22) ; Junkers W 34, 7 (4) ; Fieseler Fi 156, 2 (2).
 
La base d’Avord vient quant à elle de voir arriver les chasseurs Focke-Wulf Fw-190 de la 9. Staffel du III./Schlachtgeschwader 4 (ou III./S.G. 4. Ce groupe de bombardement tactique est subordonné au Geschwader Bongart et est également impliqué dans la lutte contre les maquis. Le Major Weyert, Kommandeur du III./S.G. 4, est arrivé la veille en début de journée pour superviser personnellement l’installation des appareils de cette Staffel sur la base car le terrain d’Aulnat (Clermont-Ferrand) où stationne son unité est saturé. Sept chasseurs Fw-190 arrivent un peu plus tard dans la soirée mais sans moyens techniques à cause d’un manque de carburant pour les véhicules.
 
Ce sont les Liberators du 487th BG, accueillis par des tirs de flak, qui larguent les premiers leurs bombes sur l’aéroport de Bourges, suivis par ceux du 486th BG. En fait quatre box d’avions bombardent le terrain car les Bomb Group se sont divisés en parties « A » et « B ». Chacun des appareils emporte une charge de vingt bombes explosives de 45kg et celles-ci vont tomber principalement sur les zones de dispersions d’avion du chemin de Villeneuve et de la route de Trouy. L’usine SNCAC est également touchée par une vingtaine de projectiles mais les dégâts sont sans comparaison au regard des dommages majeurs que présentent les bâtiments suite aux bombardements précédents. La plupart des concentrations de bombes se situent au niveau des pistes de roulement, de la piste principale et des hangars, tous parsemés d’innombrables cratères. Un stockage de munitions, situé à la Folie, a lui aussi été touché.
 
 L'aérodrome de Bourges bombardé vu depuis le sud-ouest. A droite la zone de dispersion d'avions avec ses hangars qui jouxte la route de Trouy. Plus à droite, la route de Saint-Amand-Montrond. (Source : American Air Museum in Britain - UPL33845)
 
Alors que Bourges est sur le point d’être attaqué, un membre d’équipage du 490th BG en route pour Avord signale qu’il aperçoit trente-cinq appareils ennemis au sol. Il ne semble pas que des avions aient été détruits durant ce bombardement...mais la matinée n’est pas terminée.
 
L’attaque d’Avord intervient par le nord du terrain, sous des tirs de flak qui montent vers les Heavies depuis déjà un bon moment. Les quadrimoteurs du 493rd BG (divisés en groupes « A » et « B ») ouvrent les hostilités, suivis des quadrimoteurs du 34th BG puis de ceux du 490th BG (divisés eux aussi en groupes « A » et « B »). Les appareils transportent vingt bombes explosives de 45kg, projectiles qui vont tomber sur la zone de dispersion Ouest (côté Augy), sur l’intersection des pistes, la partie ouest (côté les Vignes) ainsi que sur les alvéoles pour avions situées à Pouligny. L’extrémité de la piste nord-est/sud-ouest est constellée de cratères comme l’aire de stationnement face aux hangars route de Farges ; les alvéoles des zones de dispersions enregistrent des dégâts (deux ont été à moitié détruites et une troisième sérieusement endommagée) comme quelques bâtiments dans l’angle sud. Un Focke-Wulf Fw-190 intact est aperçu furtivement dans une des alvéoles, preuve de la présence sur la base du III./S.G. 4.
 
Voici ce que rapporte le journal des opérations du 493rd BG au sujet de ce 25 juin : « Le point initial (IP) est bien repéré et le Bomb Run peut commencer lorsqu’il s’avère que l’appareil de visée de l’avion de tête du groupe « A » (Group Lead) ne fonctionne pas correctement à cause du froid. Il est demandé alors par VHF au suppléant (Deputy Lead) de prendre la tête du groupe pour les conduire sur l’objectif. Le Group Lead se laisse dépasser et largue ses bombes – comme toute la formation - au moment où le Deputy Lead libère les siennes. Malgré une course vers l’objectif assez courte, sa visée est excellente mais son virage au point de ralliement est par contre un peu trop abrupt. Fort heureusement les autres appareils suivent le Group Lead qui contacte ensuite le Deputy Lead pour qu’il réintègre la formation. Le Group Lead de la formation « B » signale qu’il a largué à gauche de son point moyen des impacts (MPI), soit disant pour éviter la formation du « A ».
 
Aucune perte d’appareils du 9./S.G. 4 n’est rapportée mais suite à ce raid, la base n’est pas opérationnelle avant le 30 juin, date à laquelle la III./S.G. 4sera informée de son départ vers le front Est au 1er juillet. En fait, il avait été estimé que la remise en condition opérationnelle d’une partie de la base ne prendrait que deux à trois jours (250 à 300 impacts sont relevés le terrain et 120 sur les pistes, deux hangars sont détruits et l'éclairage du terrain est hors service) mais les explosions de bombes à action retardée ont fait obstacle aux travaux de remise en état. Une communication allemande interceptée le 27 juin par les services alliés du renseignement précise d’ailleurs que Bourges et Avord ne seront pas opérationnels avant une semaine.
 
Après avoir vidé leurs soutes, tous les bombardiers filent maintenant vers le Rally Point (Point de ralliement) qui se situe à la verticale du village de Chârost. Cependant certains avions ont des difficultés à suivre le rythme comme c’est le cas des Liberator du Lt. George (486th BG) et du Lt. Glotfelty (493rd BG) dont les appareils ont été salement amochés par la flak. Le Lt. George est parvenu à circonscrire l’incendie qui ravageait sont moteur intérieur droit en piquant vers le sol à 850m/mn (c’est le maximum qu’un B-24 puisse encaisser) mais maintenant il se traîne accompagné toutefois de Lightning P-38 détachés de l’escorte. George parviendra à poser son avion sur un aérodrome de secours du sud de l’Angleterre. Quant au Lt. Glotfelty, on l’a perdu de vue juste après le bombardement. A ce moment-là il perdait de l’altitude, deux de ses moteurs fumaient mais il était sous la protection de chasseurs P-38. Tout d’abord porté manquant, tout l’équipage rejoindra sa base anglaise trois jours plus tard. A l’approche de la côte, n’ayant plus qu’un seul moteur en état de fonctionner, Glotfelty a vautré son quadrimoteur sur un terrain provisoire (ALG ou Advanced Landing Ground) aménagé au nord-ouest de Bayeux.
 
Passé le village de Chârost, les Combat Wing vont suivre une route qui va les mener jusqu’à Alençon, en évitant Blois mais surtout l’aérodrome de Châteaudun. C’est en passant à l’Est de Blois que les chasseurs du 364th FG aperçoivent une quinzaine d’appareils ennemis qui volent au ras du sol en suivant la Loire. Ces derniers sont des Messerschmitt Bf 109 G de la IV./J.G. 27 qui effectuent un vol de transfert. La reddition de la garnison allemande de Cherbourg étant imminente (nota : elle interviendra le lendemain) la présence de ces chasseurs qui intervenaient sur ce secteur depuis leur base près d’Angers n’est plus nécessaire. Les avions du Gruppe qui y avaient été détachés regagnent donc leur terrain de Champfleury / la-Perthe (Aube) en suivant le fleuve à basse altitude afin d’échapper à d’éventuels chasseurs alliés. Leur vol se déroulait sans anicroches jusqu’à ce qu’ils soient repérés par les appareils américains.
 
Le Capt. John C. Ford du 384th Fighter Squadron (FS) qui les a repérés, les signale à ses coéquipiers et tout un essaim de Lightning du Squadron fond sur l’ennemi depuis 4900m d’altitude. Dans le combat qui s’en suit et qui se déroule à faible altitude, les allemands perdent un Bf 109 G qui va s’écraser en forêt de Chambord (Ofhr. Siegfried Schneider, 10./J.G. 27) tandis qu’un P-38 américain, gravement endommagé, parvient tout de même à rejoindre les lignes alliées. (nota : une victoire est pourtant attribuée à l’ Ofw. Heinrich Bartels de la 11./J.G. 27.
 
La suite du vol retour se déroule sans nouvelle rencontre d’appareils ennemis. Arrivés à l’Est d’Alençon les deux CBW virent vers Fécamp où ils vont franchir la côte française. L’escorte des Lightning P-38 est levée au-dessus de la Manche alors que les quadrimoteurs se dirigent vers Bexhill, secteur où les différentes formations de quadrimoteurs vont se disloquer afin que chaque Bomb Group regagne sa base anglaise.
 
Le bombardement de Bourges s’est terminé aux environs de 9h45 mais le signal de fin d’alerte n’a pas été donné. A juste raison car vers 11h30 des chasseurs P-47 du 353rd FG commandés par le Col. Duncan viennent mitrailler l’aéroport à basse altitude. Ces avions d’escorte avaient rendez-vous avec des B-17 au-dessus de Lamotte-Beuvron (rappel : quadrimoteurs qui viennent de parachuter armes et munitions au profit des Maquis) mais afin de s’assurer qu’il n’y a pas de retardataires, les P-47 ont poussé jusqu’à Bourges. 
 
Voici ce que raconte le Capt. Bill Maguire du 351st FS : « Le 25 juin, je commandais le Blue Flight lors d’une mission d’escorte. Nous avons retrouvé les bombardiers au point de rendez-vous fixé au sud d’Orléans et nous avons ensuite poussé jusqu’à Bourges afin de vérifier qu’il n’y avait pas de traînards. C’est alors que nous avons aperçu plusieurs avions sur l’aérodrome de cette localité. J’ai emmené à ma suite près du sol le Blue Flight et nous avons effectué une passe sud-nord. J’ai tiré de longues rafales sur un Messerschmitt Me 410 en notant plusieurs coups au but. L’appareil a pris feu et après avoir redressé et viré j’ai vu que cet avion était la proie d’un violent incendie associé à des explosions. Pendant que je me positionnais pour cette attaque, j’ai vu le Capt. Hally et le Lt. Claville, respectivement White 3 et White 4, qui détruisaient un Messerschmitt Bf 109 à gauche du Me 410 que je venais de réduire en cendres. J’ai aussi aperçu le Lt. Franklin, Red 4, réaliser une passe et faire exploser un avion alors que je reprenais de l’altitude. » Concernant ces revendications et compte tenu de la dotation du Geschwader Bongart, il se pourrait que les Messerschmitt Me 410 soient en fait des Junkers Ju 88. Après cette attaque surprise, tout le Squadron se reforme et s’en retourne vers les groupes de Forteresses Volantes.
 
La seule victime de cette journée est M. Abel L…, tué dans son potager du chemin Tortiot, certainement atteint par des tirs lors de l’attaque en rase mottes du 353rd FG. La fin de l’alerte est donnée à 11h50 mais une autre est déclenchée en fin de journée vers 20h00, levée vingt minutes plus tard sans qu’il n’y ait eu d’attaque sur l’agglomération. Cette alerte est due à des chasseurs P-47 du 404th FG (appartenant à la 9th Air Force) qui effectuaient une mission de reconnaissance armée dans le secteur Orléans – Vierzon – Romorantin - Blois.
 
Une reconnaissance menée dans l’après-midi par un Lightning F-5C du 7th Photographic Reconnaissance Group piloté par le Capt. Hubert M. Childress du 27 Squadron est diligentée afin d’établir un relevé des dommages sur Bourges et Avord (…Orléans/Bricy également). Les photographies prises durant cette mission (…et celles qui le seront les jours suivants) montrent deux terrains durement touchés, avec des travaux de remise en état qui ne concernent plus que les pistes d’atterrissage. Il semble aussi que l’activité y soit plus que réduite car on n’y relève plus d’avions en stationnement.
 
Le recul rapide des armées allemandes, après la percée alliée sur Avranches le 1er août, va sceller le sort des deux aérodromes car ce sont les allemands eux même qui procéderont aux dernières destructions (durant la deuxième quinzaine d’août) quand leur parviendra l’ordre de repli vers le Reich.