Soldat allemands inhumés dans le carré militaire du cimetière St. Lazare (Bourges)

13 octobre 1942 - An excellent day’s operational work*

Pour cette fin d'année 2020, une histoire qui ne concerne pas le Cher...

Ainsi commence la narration des faits pour le 13 octobre 1942 dans le résumé des évènements – formulaire Y - du No.248 Squadron, une unité du Coastal Command équipée de Beaufighter VIc. En effet lors des sorties de la journée, quatre appareils ennemis ont été attaqués dont trois ont été mis au tapis et un endommagé sérieusement.

La première rencontre a lieu à plus de 250 km à l’ouest de la pointe du Raz avec un bimoteur Ju 88D-1 de la Wetterkundungsstaffel en simplifié Wekusta 51 Werk-Nr.430208 marque 4T+IH, équipage Oblt Alfred SCHMID, Wd. Insp. Walter HOFMANN, Ofw. Fritz SHAPER, Ogefr. Hans HÖLLER en mission de reconnaissance météorologique. Cet avion a décollé de l’aérodrome de Lanvéoc pour une reconnaissance météo sur le secteur nord-ouest.

La visibilité est excellente et l’équipage allemand est en mesure d’apercevoir de très loin les deux points qui arrivent sur eux à grande vitesse. C’est un binôme de Beaufighter, composé des équipages F/O WILLS et Sgt VOCE à bord du « F » et P/O WEIL et Sgt BROOK à bord du « T », qui ont décollé de la RAF station Talbenny (Nota : située en Cornouailles anglaise) pour une mission d'interception. Au contact le « F » ouvre immédiatement le feu pour une première attaque sur le Junkers qui riposte alors qu’il tente de gagner la couverture nuageuse à 1.600 m plus haut. Les attaques qui s’ensuivent endommagent l’avion allemand, notamment au niveau du moteur gauche qui dégage de la fumée. Les allemands tentant le tout pour le tout font face et ouvrent le feu de toutes leurs armes de bord en fonçant vers le Beaufighter qui revient à l’attaque. Le « F » est touché à son tour au niveau du nez et de l’empennage et il rompt le combat avant de s’éloigner accompagné de son ailier.

 

Beaufighter VIc du No.248 Squadron en route vers sa zone d’opération [Source : IWM HU 91923]

Le but de l’équipage allemand est maintenant de tenter de regagner la terre ferme et il lance des appels SOS s’attendant après cette attaque à une défaillance plus que probable du moteur droit. Après moins d’une demi-heure de vol est après avoir largué tout ce qui n’était pas indispensable afin d’alléger l’avion, le moteur valide en effet s’arrête et l’avion qui ne volait déjà plus qu’à quelques mètre de la surface doit amerrir. Trois des hommes d’équipage arrivent à grimper dans le canot de survie, mais un quatrième se noie. Commence alors une longue et angoissante attente pour ces naufragés.

Les deux Beaufighter rejoignent leur base mais l’avion « F », tellement endommagé, est obligé de réaliser un atterrissage ventral, sans blessures pour l’équipage, mais un contact avec le sol si rude que l’avion sera rayé de l’inventaire. Toutes les recherches aériennes pour tenter de retrouver l’équipage allemand vont rester vaines et c’est finalement un navire de soutien – le tender d’aviation IMMELMANN – qui aperçoit dans la nuit les fusées de détresse tirées à intervalles réguliers depuis le canot de survie et qui recueille les trois survivants. [Le récit complet et détaillé est à retrouver pages 72, 73 et 74 de l’excellent livre de Pierre Babin aux éditions Heimdal - « La Wekusta 2 au combat ».]

Les victimes suivantes des Beaufighter vont être deux bimoteurs Junkers Ju 88D-1 appartenant à la 3.(F)/Aufklärungsgruppe 123, une escadrille de reconnaissance lointaine basée à Rennes / Saint-Jacques qui dépend du Fliegerführer Atlantik et qui travaille en liaison avec le Befehlshaber der U-Boote (ou B.d.U.), le commandement suprême de la force sous-marine de la Kriegsmarine (1).

Les deux avions vont être abattus par l’un des bimoteurs d’une autre patrouille du No.248 Squadron composée de trois Beaufighter, les « D », « Y » et « Q » composés respectivement des équipages F/Lt. MELVILLE-JACKSON et F/Sgt. GATEHOUSE D.F.M. ; S/Ldr. CARTRIDGE D.F.C. et P/O OSBORNE ; Sgt HAMMOND et W/O McCOLL.

La mission des avions de la 3.(F)/Aufklärungsgruppe 123 – et des quadrimoteurs Focke-Wulf 200 Kondor de la Kampfgeschwader 40 qui opèrent plus sur le grand Atlantique - est de repérer les mouvements de navires Alliés au large des côtes anglaises afin d’en alerter les sous-mariniers. En effet à cette époque, l’une des tactiques de Donitz est de tenter de localiser en mer un convoi entrant ou sortant avant qu'il ne soit dans le « trou noir du Groenland » (Nota : une zone n’ayant pas de couverture aérienne) et de l'attaquer lorsqu'il traverse ces eaux « non protégées ». Lorsque le convoi ressort du trou aérien les sous-marins se retirent. Un autre procédé, mis en place en octobre 1942, consiste toujours à localiser les convois de chaque côté du trou aérien mais cette fois de les attendre et de les attaquer avant qu’ils ne pénètrent dans le « trou ».

Les missions de reconnaissance des deux Junkers Ju 88 de la 3.(F)/Aufkl.Gr. 123 participaient sans doute à « éclairer » les prises de décisions du B.d.U concernant ces convois entrants ou sortants.

Par nature, il est impossible de connaitre les circonstances du combat de cette rencontre sinon par les quelques bribes ci-après tirées du rapport laissé par les équipages anglais ayant abattu les deux appareils allemands : « L'avion « D », équipage F/Lt. Melville-Jackson et F/Sgt. Gatehouse D.F.M., en compagnie des avions « Y » et « Q » a eu un engagement avec un Ju 88 qui a été détruit. Le « D » a subi des dégâts superficiels mais aucun blessé n’est à relever parmi l’équipage. L'avion « Y », équipage S/Ldr. Cartridge D.F.C et P/O Osborne en compagnie des « D » et « Q » a eu un engagement avec un autre Ju 88 qui a été détruit, aucun impact de tir n'ayant été relevé sur « Y ». »

 

Dégâts au Beaufighter VIc « D », équipage F/Lt. Melville-Jackson et F/Sgt. Gatehouse D.F.M. après le combat du 13 octobre. [Photo : Melville-Jackson]

Le Beaufighter « D » est toutefois marqué par sa victime au vu de la photographie ci-dessus, son pilote - le futur as du Coastal Command, le F/Lt. Melville-Jackson - ayant noté dans son carnet de vol : « Mon propre appareil a été touché par un tir de riposte dans le nez et l'aile gauche. Trou de 60 cm carrés entre le moteur droit et le fuselage, trou causé par des débris du Ju 88. » Tirs de riposte qui montrent que l’équipage allemand s’est vaillamment défendu avant de disparaitre violemment comme en témoigne l’impact causé par un débris.

La 3.(F)/Aufklärungsgruppe 123 perd deux équipages au complet lors de cette funeste journée. A bord du Ju-88 D-1 Werk-Nr.430351 marque 4U+CL, l’équipage du Lt Dietrich WEIDNER (Ofw. Siegfried RERTINS, Uffz. Robert WAGEMANN, Fw. Heinrich VOGT) et à bord du Ju-88 D-1 Werk-Nr.1449 marque 4U+KL, l’équipage du Fw. Friedrich HELLER (Fw. Gottfried NEUDECK, Uffz. Heinrich PAULUS, Uffz. Herbert KRAUSE), tous disparus en mission.

Les secours allemands n’ont pas tardé à se mettre en place après l’appel de détresse lancé par l’équipage du Junkers Ju 88 de la Wekusta 51. Un appareil de la Wekusta 2 basée à Nantes Château-Bougon, un Junkers Ju 88 en mission de reconnaissance météo est rapidement dérouté afin de participer aux recherches mais après quatre heures de patrouille il va rentrer bredouille à sa base. Suite certainement à ces longues heures de vol, le pilote rate son atterrissage endommageant son avion à hauteur de 30% mais sans qu’aucun des membres de l’équipage ne soit blessé.

La Seenotstaffel 1 basée à Poulmic, une unité de sauvetage en mer composée d’anciens hydravions français Bréguet Bizerte (2) et de Dornier Do 24, a aussi été alertée car depuis le SOS du Ju 88 de la Wekusta 51 sont venus se rajouter les deux Junkers Ju 88 de la 3.(F)/Aukl.Gr. 123 abattus au large des côtes Bretonnes. C’est l’un de ces hydravions, dont l’équipage est occupé à scruter l’océan, qui va croiser la route des trois Beaufighter du No.248 Squadron.

Un Bréguet 521 Bizerte au mouillage, en l’occurrence le KD+BF. [Source : collection Kössler]

Les avions britanniques qui patrouillent au large à basse altitude, remarquent dans le sud-ouest de l’ile de Sein le Breguet Bizerte qui survole l’océan à une altitude d'une centaine de mètres environ. Tout en observant l’océan, l'équipage de l’hydravion est aux aguets dans cet espace aérien hostile. Il repère les trois avions anglais et ouvre le feu par l’arrière sur le Beaufighter « Q », équipage Sgt HAMMOND et W/O McCOLL lorsque ce dernier reprend de l’altitude pour son attaque. Mais la riposte reste stérile et avec trois avions rapides, lourdement armés attaquant un avion lent dont la mission principale est le sauvetage en mer, l’issue du combat ne laisse que peu de doute. La salve des quatre canons de l'avion britannique détruit la nacelle du moteur tribord, celui-ci prenant immédiatement feu et au cours d’une nouvelle passe de tirs l’hydravion explose en enveloppant son assaillant d’une pluie de débris. Le Beaufighter quitte le champ de bataille légèrement souillé mais sans autres dégâts et la patrouille des trois appareils rejoindra sans problème son aérodrome.

A noter que la Seenotstaffel 1 perd là son chef, son Staffelkapitän, l’Obltn. Alfred Kröning, ainsi que les cinq membres d’équipage du Bréguet 521 Bizerte Werk-Nr.37 marque BD+KJ, à savoir le Fw. Ernst STOLL, l’Uffz. Richard LEONHARDT, l‘Ogefr. Heinrich NASER, l‘Ogefr. Werner MÜLLER et l’Uffz. Eduard HAUBER).

Dans les deux camps, les missions au-dessus de l’Atlantique sont particulièrement dangereuses car un appareil attaqué, endommagé ou victime d’une panne mécanique n’a comme seule ressource que l’amerrissage, avec de faibles chances d’être récupéré. La journée du 13 octobre 1942 en est un parfait exemple.

(1) A l’automne 1942, les Allemands possèdent encore l’avantage sur les Alliés. Les avions alliés n’ont pas une portée suffisamment longue pour patrouiller la totalité de l’océan à partir de leurs bases sur les côtes de Terre-Neuve, de l’Islande ou des îles britanniques, ce qui laisse au sud du Groenland un « trou noir » dont profitent les U-boote. À cause d’un changement récent à la machine Enigma, les services de décodage britanniques n’arrivent plus à mettre au clair les communications radio des U-boote. Qui plus est, les Allemands ont percé le code britannique numéro 3 utilisé pour chiffrer les communications avec les convois. La situation paraît si grave qu’en novembre 1942 Winston Churchill formera un Comité du Cabinet sur la guerre anti-sous-marine, comité qu’il présidera lui-même.

(2) Récupérés par les allemands au moment de l’occupation, le Breguet 521 Bizerte est un hydravion biplan à trois moteurs d'origine Short [Nota : dérivé du Short Calcutta], appareil suffisamment apprécié par les forces d’occupation pour que huit autres soient achetés au gouvernement de Vichy afin de compléter la poignée d'exemplaires capturés. Bien que le Bizerte soit lent, il est tout de même crédité d'une tenue à la mer de niveau 5 (mer agitée) et selon un pilote expérimenté du Seenotdienst (le service de sauvetage en mer), la navigabilité du Bizerte reste en fait inégalée par aucun autre avion. Six Bréguet Bizerte sont basés à Poulmic et deux à Hourtin où ils ont été rejoints par un certain nombre de Dornier do 24T à partir du mois de juillet 1941

*Traduction du titre de l’article : Une excellente journée de travail opérationnel.

Sources : Magazine Flugzeug, No. 5-1987, No. 6-1987 et No. 1-1988 – article "Breguet Bizerte im Luftwaffendienst" de Gérard Bousquet librement traduit en allemand par Paul Metges ; Dornier Do 24 Units par Peter de Jong, série Combat Aircraft, éditions Osprey ; Eagles over the Sea 1935-1942: A History of Luftwaffe Maritime Operations par Lawrence Paterson, éditions Pen & Sword ; La Wekusta 2 au combat par Pierre Babin, éditions Heimdal ; Website: http://www.luftwaffe-zur-see.de.