Soldat allemands inhumés dans le carré militaire du cimetière St. Lazare (Bourges)

Bourges Azy 9 mai 1940

Bien avant le déclenchement de l’offensive allemande du 10 mai 1940, et pour la préparer au mieux, les allemands ont envoyé des appareils de reconnaissance sur diverses régions de France. Ce 9 mai 1940 n’échappe pas à la règle et à la veille de ce que l’histoire va retenir sous le nom de Campagne de France la plupart des terrains d’aviation de France occupés par la Royal Air Force anglaise et l’Armée de l’Air sont survolés par des appareils de la Luftwaffe.

Un Dornier Do17 du 3.(F)/123 est d’ailleurs intercepté près de Dijon par cinq Morane du Groupe de Chasse III/7. Celui-ci, malgré une attaque en règle, leur échappe et sera compté comme victoire probable aux deux aviateurs français qui revendiquent sa destruction. Un autre est attaqué au sud de Lunéville par des Hurricane du No.87 Squadron anglais, mais il s’échappe lui aussi.

C’est également ce jour-là la mission d’un appareil qui nous intéresse, le Junkers Ju88A-1 (marques 4U+AH) de la 1.(F)/123, qui est chargé d’une reconnaissance des terrains au sud de Paris, les aérodromes de Chartres à Tours.

Cette unité est la 1. Fernaufklärungsstaffel / Aufklärungsgruppe 123 où 1ère Escadrille de reconnaissance lointaine / Groupe de reconnaissance 123, et le Junkers a décollé de l’aérodrome d’Hanau/Langendiebach (à l’est de Francfort-sur-le-Main). L’un des membres de l’équipage, l’Unteroffizier Ewald Stratmann, opérateur radio, a laissé son témoignage à travers le rapport qu’il a complété pour son Staffelkapitän, l’Oberleutnant Armin Goebel, lorsqu’il a réintégré sa Staffel après sa capture près d’Azy (Cher) :

"Nous avons décollé avec notre Anton vers 9 heures du matin pour une mission de reconnaissance au sud-ouest de Paris. L’équipage était composé du Stabsfeldwebel Georg Kühhorn (pilote), du Leutnant Franz Oswald (observateur), de l‘Unteroffizier Franz Bauer (mitrailleur) et de moi-même. Nous volions à haute altitude et au-dessous de nous la couverture nuageuse était presque compacte. Peu avant d’atteindre la zone de notre reconnaissance, des trouées sont apparues et ensuite nous avons trouvé un ciel presque sans aucun nuage. La météo était donc excellente pour réaliser cette mission et nous espérions bien revenir avec de précieux clichés. A notre retour quatre jours de permissions nous attendaient et notre mitrailleur, qui effectuait sa première mission de guerre, fêtait également ses 25 ans. Notre moral était donc au plus haut." (Note : Anton est le nom donné à leur avion, le AH, pour le BH - Berta, pour le CH - Cäsär, etc.)

La mission semble se dérouler sans incident quand le moteur droit donne des signes de faiblesse puis s’arrête. Très vite, alors que l’équipage a décidé de regagner l’Allemagne sur un moteur, c’est l’autre qui commence lui aussi à perdre de la puissance. 
 
"Notre bonne humeur n’allait pas durer. Le moteur droit a ralenti et s'est arrêté ce qui marqué la fin de notre mission avec un retour immédiat à la base en tentant de retrouver la couverture nuageuse pour nous offrir une protection, car la frontière se trouvait à 400 km. Nos espoirs ont été vite douchés quand le moteur gauche a commencé lui aussi à ralentir. Nous avons perdu de plus en plus d’altitude et alors que lentement nous descendions, nous avons vite compris qu’il allait falloir se faire à l’idée d’un atterrissage d'urgence en territoire ennemi. Nous avons donc commencé à chercher un terrain approprié, avec la possibilité de pouvoir détruire l'avion puis de nous échapper. J'ai diffusé un message radio […] atterrissage d’urgence […], et nous avons positionné nos charges explosives."

Pour l'anecdote, le 7 avril précédent, l’équipage avait échappé de justesse à la même mésaventure lors d’une reconnaissance sur le trafic SNCF dans le secteur de Laon. Leur Dornier Do17 pris à partie par des Morane français, l’équipage n’avait dû son salut qu’à la présence d’esprit de son pilote, le Stfw. Kühhorn, qui faisait piquer son appareil dans les nuages tandis que l’Uffz. Ewald Stratmann mitraillait d’un tir précis l’un de ses poursuivants. Sur un seul moteur, l’équipage parvenait à rejoindre son terrain de Langendiebach, l’appareil se posant normalement avec des dommages estimés à 10%.

L'histoire ne se répètera pas ce jour-là... Le pilote pose l’avion train rentré sur le territoire de la commune d’Azy et l’équipage, indemne, se dépêche de mettre le feu à l’appareil puis tente de fuir à travers la campagne.

"Notre pilote a posé l'appareil sur le ventre dans un champ de céréales, à 100 mètres avant les premières maisons d'un petit village. Les charges incendiaires activées nous avons couru aussi vite que possible loin de l'avion ! J'avais emporté des rations de secours avec moi et nous avons essayé de rejoindre un bois à proximité afin de nous y cacher temporairement. Mais ce dernier était trop petit et ne convenait donc pas à notre attente. Soudain, nous avons entendu une puissante explosion et avons vu notre Anton partir en fumée."

Le Junkers en difficulté a été aperçu par un cultivateur et ce dernier s’est empressé d’alerter des voisins pour tenter d’intercepter les fuyards. Commence alors une véritable chasse à l’homme car un groupe d’hommes armés se jette à la poursuite de l’équipage pendant qu’un autre se lance seul en voiture pour leur couper toute retraite.

"Les choses ont continués en mal. Après 10 minutes, nous avons été poursuivis par une voiture et des cultivateurs armés de fusils de chasse. Toute résistance semblait donc inutile et il ne nous restait plus qu’à nous rendre. Nous avons été ramenés à l'avion qui était presque complètement brûlé et avec un certain sentiment de fierté, nous nous sommes dit que les Français ne pourraient rien en tirer."
 


Effectivement, les aviateurs se voyant cernés de tous côtés (…et il faut admettre, loin de leurs lignes !) sont obligés de se rendre et sont remis aux autorités militaires accourues peu après sur les lieux.

"Tout le contenu de nos poches a été confisqué et l'une des premières questions qui nous a été posées concernait le type de notre avion ; nous n’avons rien lâché à ce sujet. Après environ une heure, une dizaine de véhicules occupés par des sous-officiers français et deux gros camions chargés d’hommes de troupe blancs et indigènes sont arrivés. Nous avons prestement été embarqués à bord d’un camion et conduits jusqu'à l’aérodrome de Bourges. Notre escorte a bien tenté de nous tirer les vers du nez en cours de route, mais en vain. Une fois arrivés à destination, on nous a donné à manger et nous avons ensuite été interrogés individuellement."

Depuis Orléans, le Général Michelin commandant la 5ème région territoriale adresse ses très vives félicitations à ces cultivateurs et intervient auprès du ministre de la Défense pour qu’ils obtiennent une récompense. L’histoire ne dit pas ce qu’ils ont obtenu.

L’Uffz. Ewald Stratmann poursuit : "Lorsque j’ai été introduit dans la pièce d’interrogatoire, en faisant le salut nazi, j’ai lu la surprise et l’agacement sur le visage de mes questionneurs. L'interrogatoire en lui-même s'est déroulé d’une manière presque normale mais j’ai toutefois refusé de donner des renseignements militaires. Tandis que l’on nous ramenait vers un fourgon cellulaire, une foule nous observait. Il y avait là d'innombrables soldats et civils qui voyaient probablement pour la première fois des aviateurs allemands. Sous la garde de huit hommes, nous avons été conduit à la prison de Bourges et lorsque nous sommes arrivés dans le bureau des entrants, un fonctionnaire a envoyé valser de sa main la casquette que portait le Leutnant Oswald, et l'a ensuite piétinée au sol.

Une nouvelle fois on nous a demandé notre identité et d’autres informations personnelles, puis une fiche a été complétée avec notre description physique et sur laquelle nous avons apposé nos empreintes digitales. On avait l’impression d’être de dangereux criminels ayant commis un abominable meurtre. La cellule individuelle dans laquelle j'ai ensuite été emmené disposait d’une table fixée au sol et d’un lit avec deux couvertures. J'ai dû me déshabiller et remettre les vêtements que j'avais enlevés, ne gardant sur moi que ma chemise et mon caleçon. C’était notre première nuit sur le sol français.
"

"A quatre heures trente, j'ai été réveillé par des hurlements de sirènes. Un raid aérien ! Je savais maintenant que la bataille avait commencé, bien que sans nous malheureusement. Le grondement des moteurs, qui ne cessait d'augmenter et qui a grossi peu après a été pour moi le premier salut du pays.
 
L’Allemagne déclenche son offensive le 10 mai, et dans le Cher la base d'Avord est bombardée entre 4h45 et 4h55 par cinq avions allemands qui larguent plusieurs bombes. Cinq militaires de l'armée de l'Air seront tués et deux seront blessés, tandis que trois bâtiments servant à l'instruction seront rendus inutilisables.
 
À cinq heures nous avons emmenés vers le réfectoire pour un petit déjeuner qui consistait en un morceau de pain. Une fois de plus on nous a fait grimper dans un véhicule sans fenêtres, pour un voyage qui allait durer six heures. Mais un petit trou dans le panneau latéral m’a permis de deviner la direction dans laquelle nous allions.

Le voyage s'est terminé, comme je l’avais soupçonné, à Dôle après être passés par Dijon.
"

Après avoir été une nouvelle fois interrogés puis internés et déplacés régulièrement vers divers camps de prisonniers suite à l’avancée des troupes allemandes, l’équipage retrouvera la liberté après l’armistice alors qu’il se trouve à Mazères, une petite localité située à une cinquantaine de kilomètres de Toulouse.

Camp d'internement du Vernet à Mazère (Ariège). L'entrée du camp et vue partielle des baraquements du quartier B. (Source: Référence : IVR73_20060900053NUCA Musée du Vernet - Roques, Patrick / Inventaire général Région Midi-Pyrénées.)

Pour conclure cette histoire on peut noter que le jeune Uffz. Franz Bauer ne verra pas son vingt-sixième anniversaire, il sera tué au combat le 23 mars 1941. Quant au Leutnant Franz Oswald, alors Hauptmann, il sera décoré de la Ritterkreuz (la croix de chevalier) le 24 octobre 1944 après un grand nombre de missions et la destruction d’une cinquantaine de chars. Il décèdera le 13 janvier 2003 à Munich en Bavière.

Voici un aperçu de sa carrière au sein de la Luftwaffe durant le conflit mondial :

Franz Oswald est né le 9 août 1915 à Iéna en Thuringe. Titulaire de la Croix de Chevalier le 24 octobre 1944 au grade de Hauptmann après environ 300 missions de guerre et 50 destructions de chars. Il est l'un des rares "tueurs" de chars de la Luftwaffe sur Henschel Hs129 à avoir été décoré de la Croix de Chevalier. 
 
Franz Oswald s’engage dans la Luftwaffe avant la seconde guerre mondiale et il y reçoit une formation d’observateur. Alors au grade de Feldwebel il est promu au rang de Leutnant en décembre 1939. Durant la Campagne de France en tant qu'observateur au sein de la 1./(F)123, il effectue 4 missions de guerre sur Dornier Do17 et 1 mission de guerre sur Junkers Ju88. Le 9 mai 1940, à 150 km de Paris et consécutivement à une panne de moteur son appareil doit effectuer un atterrissage d'urgence. Il est capturé et connait la captivité durant quelques semaines. Durant cette période il rencontre Werner Mölders qui l'aide plus tard, à sa demande, à rejoindre un détachement de première ligne. 
 
De fin 1940 à début 1941 il se trouve à la Frontnachrichtenschule (Ecole du Renseignement) de la Luftwaffe où il s'entraîne "à côté" pour décrocher son brevet de pilote. Au printemps 1942, il est transféré au Schlachtgeschwader 1 ou Sch.G.1, au sein du II. Gruppe (une unité d’attaque au sol), unité commandée alors par l’Oberstleutnant Hubertus Hitschhold et son II. Gruppe par le Hauptmann Paul-Friedrich Darjes alors qu’il est déployé dans la partie centrale du front Russe. Jusqu'à octobre 1942 environ, il vole au sein de la Staffel-Henschel Hs129, et entre autres durant l’offensive et les combats pour Stalingrad. 
 
A l’automne, il est temporairement stationné en Prusse-Orientale et du 28 novembre 1942 au 20 avril 1943 il est affecté au Schlachtgeschwader 2 ou Sch.G.2 nouvellement créée en Tunisie, plus particulièrement au sein de la 8.(Pz)/Sch.G.2 (note : Pz pour Panzer, char). Abattu par la DCA à environ 20 km en arrière de la ligne de front, il échappe à la capture et regagne les lignes allemandes. Le 18 janvier 1943, à BouArada (Tunisie), il est blessé par des tirs dans le cockpit de son appareil. Le 20 janvier 1943 il est nommé Staffelkapitän du 8.(Pz)/Sch.G.2 (et à partir de novembre 1943 environ, Kapitän du 13.(Pz)/SG9, lorsque la Staffel change de dénomination à la création du Schlachtgeschwader 9). 
 
Après la Tunisie il stationne quelque temps en Sardaigne. En juin 1943 il est grièvement blessé par accident lors de l’allumage accidentel d’une fusée de signalisation dans le cockpit ; brûlé aux mains, au visage et aux cuisses il est hospitalisé pour six semaines au Luftwaffenlazarett de Munchen-Oberföhring (Bavière). De septembre 1943 à novembre 1944 il combat de nouveau sur le front Russe. 
 
De novembre à décembre 1944 il suit les cours de Verbandsführer (Chef de formation) à Jüterborg et est affecté début janvier 1945 comme Kommandoführer - jusqu'à la fin des hostilités - à l' Erprobungskommando ou Erpr.Kdo (note : une unité d’essai) dédiée au "Panzerblitz" ou lutte antichar auprès du Général des Schlachtflieger (avions d’assauts).

Le Hauptmann Oswald a réalisé plus de 300 missions de guerre comme pilote d’assaut sur Henschel Hs-129 avec 50 destructions de chars à son palmarès et cinq comme observateur au sein d’une unité de reconnaissance lointaine.



La ville française de Bourges
En un seul cliché, un avion de reconnaissance allemand à long rayon d'action a capturé un grand nombre d’objectifs militaires importants. A Bourges, une ville du centre de la France, les installations militaires importantes sont tout simplement trop regroupées. Elle possède un aérodrome (1) avec une usine de construction d'avions avoisinante (2). Alors que l’important entrepôt de réserve de matériel (3) est situé à la périphérie de la ville, l'Arsenal (4) est situé au cœur de la ville. A proximité se trouvent les grandes casernes (5) et un établissement pour des essais pyrotechniques et de munitions (6). Il y a également un polygone de tir d'artillerie avec dépôt de munitions (7). Compte tenu de ces entrepôts et dépôts, Bourges dispose également d'une grande gare de chemin de fer (8). Plusieurs positions antiaériennes protègent la ville des raids aériens ennemis (9).