Soldat allemands inhumés dans le carré militaire du cimetière St. Lazare (Bourges)

Avord 16 avril 1943

Premières pertes humaines pour la Flugzeugführerschule, l’école de pilotage allemande depuis son installation à Bourges début janvier et la reprise des cours de formation le 20 janvier 1943.


Le F/O Smart à droite, et son navigateur, le F/O Wood

Les Fliegerhorste ou bases de Bourges et d’Avord sont sous surveillance de la Royal Air Force, et depuis l’arrivée de la Flugzeugführerschule en Berry quelques missions ont amené depuis le 1er janvier le No.418 Squadron Canadien – entre-autres- équipé de Boston III à survoler le secteur. (Le No.418 Squadron n’est pas encore doté du DeHavilland Mosquito, il ne sera transformé sur ce type d’appareil que début mai 1943).
 
Mais c’est l’équipage d’un Mosquito du No.605 Squadron "County of Warwick"- lors d’une mission de type Intruder - qui va ouvrir la longue série des pertes que va subir l’école durant son séjour en France.
 
A bord de leur Mosquito II (DZ715 / code UP-R), le F/O Smart et son navigateur, le F/O Wood, franchissent la côte anglaise du côté de Ford à 22h00 pour une patrouille Intruder vers la R.T.U. (Replacement Training Unit) située au sud de Paris ainsi que sur les voies de chemins de fer d’un secteur allant de Nantes à Orléans. La côte est franchie à hauteur d’Isigny à 22h30, à basse altitude puis le cap est mis sur Rennes qui est atteinte à 22h55.
 
Pour expliquer ce qu’est une mission de type Intruder, le F/O Ernest Samuel Gates, navigateur sur Mosquito au sein du No.613 Squadron, nous raconte ce qu’est une telle mission à travers cet extrait d’un récit écrit après-guerre : 
 
[…] Deux hommes dans l’exiguïté et la complexité d’un cockpit, perçant les ténèbres pour aller rôder au-dessus des terrains d'aviation et des voies de communication de l’ennemi. Une fois en l’air, l'équipage est littéralement livré à lui-même. Alors que leur Mosquito disparait dans la nuit qui s’installe sur l'Angleterre, leur identité n'est plus qu’un spot scintillant sur un écran Radar - leurs noms marqués à la craie sur un tableau noir écaillé dédié aux opérations en cours sont associés à un obscur numéro à quatre chiffres indiquant l’heure de décollage. 
 
La lune est leur adversaire naturel, la nuit noire leur amie. Tous les appareillages électroniques inventés par les experts ne peuvent remplacer leurs propres observations - leurs yeux peuvent capter instantanément le scintillement d’une lampe de maison restée négligemment allumée, la lueur orange du foyer d'une locomotive fonçant à travers la nuit ou la traînée bleu-rouge des pipes d’échappement d’un avion allemand qui va se poser sur son aérodrome. Il s'agit d'une guerre silencieuse, où la victoire n’est obtenue qu’en frappant son adversaire dans le dos, au moment où il s'y attend le moins. Un bombardier ennemi en approche finale, son équipage satisfait et détendu après une mission exténuante et qui se prépare à l'atterrissage, va soudain vivre un moment de terreur pure, celle provoquée par le vacarme assourdissant des obus venant frapper leur avion par l’arrière.
 
Vers la fin de la guerre, la Luftwaffe en Europe est pratiquement obsédée par l'audace de ces Mosquitos Intruder. Deux expressions naissent : "Moskitopanik" et "Ritterkreuzhöhe". La première résume la préoccupation constante que suscite les Mosquitos qui rôdent dans les environs, attendant de frapper les avions au-dessus leurs propres balisages de piste, tandis que la seconde (Littéralement, altitude Croix de Chevaliers) décrit la seule méthode raisonnablement sûre pour échapper à une mort certaine au décollage, en volant à zéro pied à travers la campagne environnante, et ce, jusqu'à mettre une certaine distance entre soi et les Mosquitos toujours omniprésents. 
 
Les Intruders ont généralement des secteurs ou des objectifs spécifiques à couvrir – des attaques de diversion, des escortes de bombardiers ou la couverture d'un aérodrome ennemi durant les raids de bombardiers lourds. En février 1943, une forme d'intrusion légèrement différente, appelée Ranger, est progressivement mise en place. Les Rangers sont littéralement des opérateurs indépendants, sans contact avec leurs aérodromes d'attache et livrés à eux-mêmes afin de causer le plus de désordres et de perturbations possible chez l'ennemi. Alors que les Intruders se voient attribuer des secteurs ou des objectifs spécifiques à quadriller, les Mosquitos Rangers recherchent littéralement le conflit.
 
Ces deux formes d’intrusion exigent de leurs équipages les mêmes qualités : audace, fermeté et détermination afin de rechercher et détruire, quel qu’en soient le prix ou les moyens. […]
 
Poursuivant sa route, l’équipage Smart/Wood ne remarque aucune activité à Tours atteinte à 23h54 et le cap est mis vers Bourges qui est atteinte à 00h22. Là aussi, aucune activité n’est observée et le vol se poursuit jusqu’à Avord, atteint à 00h26. Sur la base, le système visuel Lorenz Sud-Ouest/Nord-Est et le balisage périmétrique lumineux sont allumés. Trois avions qui décollent l’un après l’autre sont aperçus, l'un d'eux n’étant plus revu après son décollage. Un deuxième avion ennemi est vu alors qu’il quitte le balisage lumineux et effectue son circuit à main gauche. 
 
A ce moment-là le Mosquito orbite vers l'ouest de l'aérodrome et il effectue alors un virage à gauche et pique pour intercepter l'avion ennemi à l'extrémité Sud-Ouest de la piste de décollage.
 
Cependant, l’approche du Mosquito est trop rapide et il dépasse sa cible, non sans avoir tiré une courte rafale de tout son armement sur l’arrière de l’avion ennemi – qui poursuit son vol comme si de rien n’était. Le pilote de l'avion allemand a-t-il conscience de l’attaque, nul ne le sait car son appareil vire à gauche et descend en direction du balisage au sol. Le Mosquito, après avoir réalisé un assez large virage à l'est du balisage revient sur sa cible et la mitraille juste avant qu’elle n'atteigne le seuil de piste.
 
"Je lui ai décoché une très courte rafale de toutes mes armes, en le gardant dans ma ligne de mire et en la maintenant sur le nez de l'avion ennemi. J’ai interrompu mon attaque à environ 200 mètres, une passe effectuée en un léger piqué depuis 300 mètres d’altitude" raconte le F/O Smart. L’avion ennemi explose, passe sur le dos et flambe au sol. "Alors que je virais à gauche sous le vent et que j'atteignais l'extrémité du seuil de piste, j'ai vu un autre avion qui volait parallèlement au balisage de piste côté est. On aurait dit qu'il voulait aller observer l’incendie de l’avion au sol" continue le F/O Smart.
 
"J'ai viré sur son intérieur et quand il s’est trouvé à environ 800 mètres à l'est de l'incendie, j'ai tiré deux très courtes rafales. Une fois encore, mon attaque s’est faite en léger piqué. L’avion ennemi a pris feu et les flammes se sont propagées au-dessus du poste de pilotage. Nous avons pu clairement voir l'avion ennemi, et il n'y a eu aucun doute quant à son identité car la croix sur le fuselage était bien visible. Presque aussitôt, l'avion ennemi a plongé vers le sol à quelques centaines de mètres du premier incendie." Conclu le F/O Smart.
 
La Flak reste muette, vraisemblablement à cause des appareils en formation au pilotage de nuit, car elle ne peut riposter sans risquer d’abattre un de ses compatriotes. Après sa deuxième attaque, le Mosquito s'éloigne par la droite, orbite rapidement autour de la base en observant les deux avions encore en flammes. Il prend ensuite le cap vers le Nord-Est en direction d’Orléans, qui est atteinte à 00h50. […] Cap ensuite sur Fécamp, franchi à 01h27 à 500 mètres d’altitude. La côte anglaise est franchie au niveau de Ford à 01h47 et l’équipage se pose sans dommages sur sa base de Castle Camps à 02h30.
 
Le journal de guerre de la Flugzeugführerschule relate ainsi l’attaque :
 
16.04.1943 - Lors d’un entraînement au vol de nuit (circuit autour de l'aérodrome), les élèves de la formation B2, le Gefr. Dettlaff Günter et le Gefr. Hengst Siegfried ont été attaqués et tués à bord d’un Focke-Wulf Fw 58 à 0h30 par un chasseur de nuit ennemi. Un second Focke-Wulf Fw 58 attaqué a réussi à échapper aux tirs en effectuant immédiatement un atterrissage sur le ventre. Son instructeur, le Fw. Baum n'a été que légèrement blessé au dos par des éclats d’obus.
 
Les deux aviateurs seront inhumés avec les honneurs militaires le 17 avril suivant, au cimetière des tombés au champ d’honneur – le carré militaire réservé aux forces d’occupation situé dans le cimetière Saint-Lazare de Bourges.