Soldat allemands inhumés dans le carré militaire du cimetière St. Lazare (Bourges)

Avord 5 février 1944

« Il n’a pas été jugé prudent de tenter une incursion en profondeur dans le centre ou le sud de l’Allemagne en raison des mauvaises conditions météo et le petit nombre d’appareils Pathfinder* disponibles a été un élément supplémentaire à l’encontre d’une opération par temps couvert. En conséquence, la décision a été prise d’attaquer six terrains d’aviation de l’armée de l’air allemande au sud et à l’est de Paris. Comme il résulte une grande fatigue des équipages et de gros dommages matériels découlant des opérations à grande échelle sur Wilhelmshaven et Frankfurt lors des journées précédentes et considérant la relative petite taille des objectifs, seulement sept Combat Wings de B-17 ainsi que trois Combat Wings de B-24 à demi-effectifs ont été désignés pour être engagés dans ces opérations. » (Extrait d’un rapport américain concernant les missions du 5 février 1944.) 

Dans la liste des six terrains, Avord…

La grande base aérienne ne peut échapper indéfiniment à une mission d’envergure alors que les alliés ont programmé l’ouverture d’un second front pour cette année. Lors du briefing, l’intelligence Officer en a dressé un rapide portrait : « L’aérodrome est situé dans le centre de la France, au N.N.-O. du village d’Avord et à 11,5 miles E.S.-E. de la ville de Bourges. Ce terrain était déjà un aérodrome militaire français important et bien équipé avant l’invasion allemande. Il a été continuellement occupé par des groupes de bombardement à long rayon d’action équipés de bombardiers Heinkel He-111 depuis juillet 1940 jusqu’à aujourd’hui. Pour de courtes périodes il peut-y avoir jusqu’à deux Groupes basés sur cet aérodrome et des appareils d’autres terrains atterrissent sur cette base au retour d’opérations. Nous pensons que depuis les douze derniers mois son activité principale consiste à l’entraînement des équipages. » 

La mission de reconnaissance effectuée le 4 janvier précédent vient appuyer ses propos : Les photographies montrent un quadrimoteur Focke-Wulf Fw-200 sur le dispersal nord, cinq Fw-200 faisant face aux hangars situés le long de la route Avord-Farges et un bimoteur Heinkel He-177 au décollage sur la piste N.O./S.E. Devant les hangars sud on décompte un Fw-200, deux He-177, deux bimoteurs He-111 et un Caudron C-445. Pour finir, trois Fw-200 sont stationnés dans la partie ouest du terrain. On sait aujourd’hui que depuis quelques semaines Avord est investie par les appareils de la III./KG40, une unité qui stationne d’ordinaire à Cognac mais qui a quitté provisoirement son terrain en raison de récents bombardements alliés. La base sert aussi de plate-forme de travail pour les équipages de bombardiers He-177 de l’école de pilotage, la Flugzeugführerschule B15, de Bourges. 

Les deux Bomb Groups de la 8th Air Force américaine qui se préparent pour cette mission ne sont pas des nouveaux venus sur le théâtre d’Opération Européen car l’un, le 91st Bomb Group, a effectué sa première mission le 7 novembre 1942 et le second, le 381st Bomb Group, le 22 juin 1943. Tous deux appartiennent à la 1st Bomb Division qui se caractérise par un triangle peint sur la queue de leurs B-17 Fortress dans lequel est inscrit un A majuscule pour le premier et un L majuscule pour le second. En février 1944 le 91st, commandé par le Col. Claude E. Putnam, est basé à Bassingbourn au sud de Cambridge et le 381st, commandé par le Col. Harry P. Leber Jr., est quant à lui logé sur le terrain de Ridgewell à l’ouest d’Ipswich.

Après avoir débuté le mois de février par deux missions sur l’Allemagne, les docks du port de Wilhelmshaven le 3 et les voies du triage de Frankfurt le 4, l’atmosphère est moins tendue parmi les équipages de la huitième Air Force à l’annonce d’objectifs en France, des missions à priori plus facile et des cibles certainement moins défendues que ces deux villes allemandes ou la défense anti-aérienne a encore prélevé son tribut.

Le briefing général permet d’apprendre quelques détails concernant la mission du jour. Deux Combat Wings de la 1st Bomb Division et trois Combat Wings de la 2nd Bomb Division composent la First Force qui doit attaquer les terrains de Châteauroux, Avord et Tours. La protection est assurée par plusieurs Fighter Groups de chasseurs P-47 Thunderbolt et de chasseurs bimoteurs P-38 Lightning dans les environs immédiats des objectifs de Châteauroux et Avord. Dans son propre Combat Wing le 381st Bomb Group occupera le box de tête, le 91st Bomb Group, le box inférieur et le box supérieur sera composé d’un mélange d’appareils des deux Bomb Groups. La météo est prévue bonne tout au long de la mission avec toutefois une légère brume au niveau du sol sur Avord et le Flak Officer promet que la défense anti-aérienne sera modérée. Les premières bombes doivent être larguées à 11h02 et enfin, en cas d’impossibilité d’attaquer Avord, l’objectif de remplacement est l’aérodrome d’Orléans-Bricy.

Sur les deux bases américaines, les décollages des appareils appartenant aux «Main Group» et « Composite Group» s’échelonnent de 07h45 à 09h30 et les bombardiers des 91st et 381st Bomb Groups se rassemblent à hauteur de la radio balise Splasher #7, située sur Canvey Island, et de Southend-on-Sea (sur l’embouchure de la Tamise.) A noter qu’un appareil du 381st BG décolle avec du retard et ne pouvant rattraper son unité il se joint au 95th Bomb Group avec lequel il lâchera ses bombes sur Villacoublay. En avance sur l’horaire du plan de vol, l’ensemble de la First Force effectue un virage à 360° peu avant la radio balise Splasher #9 afin de perdre du temps et franchit la côte anglaise à 09h45. Durant le survol de la Manche la First Force est à nouveau obligée de « zigzaguer » pour respecter son timing mais aussi pour éviter une trajectoire de collision avec les B-24 Liberator d’un Combat Wing. 

La côte française est franchie à hauteur de Deauville et la First Force mets le cap sur Blois alors qu’apparaît l’escorte des P-47 Thunderbolt appartenant au 352nd FG. Le vol suit son cours sans incident et les P-47 du 355th FG rejoignent le flot d’avions vers La Ferté Bernard pour remplacer leurs collègues du 352nd FG qui décrochent quatre minutes plus tard. Un peu avant Vendôme se sont d’abord les chasseurs P-38 Lightning du 20th FG qui rejoignent suivit quelques minutes après par ceux du 55th FG. Tous ces appareils sont chargés de protéger les environs car c’est au nord de Blois que les différents Combat Wing de la First Force « éclatent » pour converger vers leurs objectifs respectifs. 

Le Combat Wing composé des 91st et 381st Bomb Group continue son chemin vers Noyers s/ Cher accompagné par les Lightning du 20th Fighter Group que mène le Col. Russell, Group Commander. Aux environs de Romorantin les Lightning repoussent une attaque de Fw-190 avant que ces derniers n’aient pu s’approcher des B-17 Fortress et au passage de l’Initial Point près de Vierzon (Point à partir duquel commence le Bomb Run, une course rectiligne vers l’objectif), les différent « box » se présentent en file indienne. Le 381st BG emmené par le Col. Hall est en tête suivit du box composite dirigé par le Maj. Fitzgerald et de celui du 91st BG dirigé par le Capt. Brumble. Quelques bombes sont lâchées sur Foëcy, causant des dégâts matériels mais pas de victimes, très certainement à cause d’un disfonctionnement du râtelier à bombes d’un des B-17. L’altitude de bombardement prévue est relativement faible comparée aux missions sur l’Allemagne - aujourd’hui les bombes seront larguées entre 14,000 et 17,000 pieds. La base d’Avord est maintenant bien visible.

Au moment où les bombardiers américains arrivent, la Fliegerhorst - Avord est déjà alertée et a commencé à faire décoller au plus vite les avions qui encombrent le tarmac, tout au moins les quadrimoteurs Fw-200 de la III./Kampfgeschwader 40 qui ont les pleins de carburant et de munitions. Une opération était en effet prévue pour ce matin et les équipages surpris par cette attaque n’ont que le temps de rejoindre leurs appareils afin d’éviter le pire. Il faut souligner que c’est la première attaque d’importance sur un aérodrome du Cher.

Les premières bombes tombent déjà sur la base alors qu’un des appareils allemand roule encore sur la piste pour son décollage. Il est 11h09, les Américains ont 7 minutes de retard sur l’horaire planifié. A propos de cet avion allemand, le T/Sgt Southworth, mitrailleur de queue, raconte « J’ai vu un bombardier allemand qui s’élançait pour le décollage mais quatre chasseurs P-38 ont fondu sur lui et l’ont expédié au tapis.»

Les parties sud et est de la base sont visées. Un grand hangar en limite sud est endommagé à 30% par le souffle des bombes et se mets à flamber. Des coups directs sont portés sur plusieurs hangars dans la même zone et dans la partie est du terrain, quatre grands hangars le long de la route de Farges-en-Septaines reçoivent des coups directs. Les habitations des environs ne sont pas épargnées elles aussi. Seize maisons du hameau « Les Vignes » sont soufflées et partiellement endommagées et leurs habitants seront relogés sur Avord et Farges-en-Septaines. Deux appareils ennemis stationnés face à ces mêmes hangars sont sérieusement endommagés. Une phrase du T/Sgt Henry J. Streets mitrailleur de queue sur le B-17 « Mary Lou » du 91st BG  résume assez bien les choses « Aucun de chasseurs, aucune Flak, plus de hangars, plus de casernements » En effet à l’extrême sud du terrain, des casernements, trois ateliers, un entrepôt de stockage et d’autres installations sont aussi détruits.
 
Ce 5 février, les première bombes tombent sur Avord. C'est le premier bombardement de la base, d'autres vont suivre... (Source : NARA 342-FH-3A18399-50112AC)

Mais heureusement pour les américains que la Flak reste faible et imprécise car suite à un mauvais fonctionnement du pilote automatique de l’avion leader du Composite Group, tout le groupe réalise « à blanc » un superbe survol de la base aérienne et, ayant procédé à un vaste demi-tour par la droite, refait un passage pour lâcher ses « œufs ». Dans le but d’attendre le Composite Group, les deux autres box réalisent eux aussi « leur » demi-tour et enfin à 11h29, entre Henrichemont et Ivoy-le-Pré, les trois box s’assemblent pour le retour.

Durant l’attaque d’Avord, les chasseurs du 20th Fighter Group abattent un quadrimoteur et un bimoteur surpris au décollage. Après un rapide et inégal combat aérien, le premier s’écrase à Annoix (1), le second dans les marais entre Bourges et Fenestrelay (2). 
 
« Cet objectif n’était plus que fumée et flammes après en avoir fini avec lui » raconte le S/Sgt Szabo, mitrailleur de queue sur le B-17 « Honey » du 381st BG. « J’ai vu de la fumée monter droit dans le ciel durant la demi-heure où nous avons quitté le terrain et une heure plus tard la colonne était encore plus haute que lorsque nous étions près de l’objectif.»  

Les appareils font maintenant route vers Orléans où un corridor, protégé par plusieurs Fighter Group de chasseurs P-47, a été mis en place sur un axe Orléans–Rambouillet-Dieppe et ce afin d’accueillir toutes les formations de bombardiers à leur retour de mission. 

Des combats entre chasseurs sont signalés aux environs de Tours mais le contrôle aérien allemand fait surtout porter la plupart de ses attaques le long du corridor de repli. Il indique toutefois à ses pilotes de ne pas engager les chasseurs alliés mais d’attendre les bombardiers et de s’attaquer aux traînards. Deux P-47 Thunderbolt américains sont toutefois abattus pour six Messerschmitt Me-109 et Focke-Wulf Fw-190 allemands détruits.  

Pour ce qui concerne les 91st et 381st Bomb Group de retour d’Avord, la côte française est franchie entre Dieppe et Le-Tréport à 12h50 et ce sans avoir été inquiétés par la chasse allemande, la côte anglaise étant quant à elle franchie vers Beachy Head à 13h15.

Sur la Flugplatz allemande d’Avord, hormis les membres d’équipages tués lors des engagements avec les chasseurs américains ont dénombre une dizaine de blessés et deux tués à la Fliegerhorst-Kompanie 217/XII, l’unité de soutien d’aérodrome. 

Quant au journal de guerre de la Flugzeugführerschule B15 de Bourges, il indique pour la date du 5 février : « Du stage de formation sur He-177 trois soldats ont été blessés. Les appareils du stage de formation n’ont pas été endommagés mais les casernements sont complètement détruits. Le personnel du stage de formation a donc été dirigé le jour même vers la caserne Condé de Bourges pour y être relogé. »
 
L’ultime survol de la base allemande pour cette journée est réalisé par le Lighting F-5 du Lt Hector Gonzales appartenant au 13th  Photographic Reconnaissance Squadron - 7th Photographic Reconnaissance Group qui prend une série de clichés des objectifs attaqués à la mi-journée (Tours, Châteauroux et Avord). Au moment de prendre le cap du retour, il jette un coup d’œil à ses jauges à carburant mais il s’aperçoit avec horreur que le réservoir gauche est pratiquement vide. Il n’en connaît pas la raison et coupe aussitôt son moteur en espérant pouvoir ramener son appareil à la maison. 

Ayant atteint la Manche il demande de l’aide par radio car il est vraiment court en carburant et ce sont les Spitfires d’un Squadron Belge qui l’escortent vers un terrain en herbe situé au sommet des falaises de craies blanches de la côte anglaise. Il remet son moteur gauche en route, saute la falaise et s’apprête à atterrir quand le contrôleur lui signale qu’il est un peu vite et que le terrain est vraiment court. Ainsi prévenu, il refait son tour de piste, se présente plus lentement et se pose parfaitement sur le petit terrain de Beachy Head. Il repartira dès le lendemain matin pour Mount Farm (base du 7th PRG) avec tous ses clichés. 

Pour l’anecdote - parmi l’équipage du Lt. Col. Conway S. Hall (381st Bomb Group) qui mène l’attaque durant cette mission on trouve le Capt. Osce V. Jones. L’avion de Jones, avec alors le grade de Major, sera descendu par la Flak d’Avord durant le bombardement du 28 avril 1944 et il passera la fin de la guerre en captivité.

*Pathfinder : Appareils éclaireurs équipés de radars H2X qui permettent un bombardement à travers la couche nuageuse. 

(1) Ce jour-là les P-38 Lightning du 20th Fighter Group que dirige le Col. Barton M. Russel assurent, pour cette partie de la mission, la protection d’une cinquantaine de B-17 Fortress qui attaquent la base d’Avord. Depuis quelques semaines la base est occupée par les quadrimoteurs Focke-Wulf Fw-200 Condor de la III./KG40, unité qui est ordinairement stationnée sur la base de Cognac mais qui a quitté ce terrain pour un temps en raison de récentes attaques alliées.

La plupart des Condor sont armés et ont le plein de carburant quand l’alerte aérienne est déclenchée et devant le risque de perdre tous les appareils, le commandement allemand ordonne aux avions de procéder à un décollage immédiat. Le désordre est complet mais la grande majorité des Fw-200 arrive à prendre l’air et à s’enfuir en se cachant dans la brume qui recouvre le sol. 

Un des appareils allemand est pourtant repéré par les pilotes du 20th FG alors qu’il quitte tout juste la piste et que les premières bombes des « Heavies » (Les bombardiers lourds) commencent à tomber. Le Col. Russel demande à « Rebuke leader », le Lt. Col. Montgomery qui commande le 77th FS, de  s’occuper cet appareil ennemi. A la suite de leur chef les P-38 du Squadron plongent vers le sol à la poursuite du quadrimoteur, le rattrapent rapidement et engagent aussitôt le combat. 

Le pilote du Condor, le Hpt Ing. Dr. Anton Leder, tente toutes les figures de vol possibles pour se soustraire aux attaques des chasseurs alliés pendant que ses mitrailleurs essaient tant bien que mal de repousser les assauts, mais la lutte est inégale et l’appareil allemand succombe bientôt sous le nombre. 

Voici ce qu’en dit le co-pilote, l’Uffz. Kurt Frosch : « De toutes les directions, tel des vautours, les Lightnings se bousculaient sur nous et nous arrosaient de leurs canons et de leurs mitrailleuses. Ce n’était plus qu’une question de temps et ce dernier allait être extrêmement court. Les moteurs commençaient maintenant à fumer, d’abord une fumée claire, puis plus foncée jusqu’à devenir une fumée complètement noire. » 

Au moins dix pilotes revendiquent des tirs sur l’avion allemand mais les coups qui portent sont ceux du Lt. Col Robert P. Montgomery, du Capt. Paul J. Sabo et du 2nd Lt. Jack E. Davis, leur revendication concernant cet avion leur sera d’ailleurs officiellement confirmée. 

Ecoutons Jack Davis, l’ailier du Capt. Sabo : « Un des mitrailleurs était clairement visible et tirait sur nous quand nous approchions. Sabo et moi nous avons tiré simultanément et nous avons du toucher le carburant ou un truc explosif car il y a eu une formidable explosion.» 

Dans l’appareil allemand en feu qui pique lentement c’est le carnage. Le cockpit s’est remplit de fumée et quand celle-ci se dissipe, Kurt Frosch ne peut que constater la mort du pilote et du mécanicien navigant. Il n’a maintenant d’autre solution que de tenter un atterrissage d’urgence. L’Ogefr. Artur Stieg, un des techniciens du bord dira d’ailleurs : « … le co-pilote a annoncé qu’il allait tenter un atterrissage d’urgence mais ça m’a semblé plus être un crash qu’un atterrissage d’urgence. » 

Le quadrimoteur en flammes touche la cime des arbres, son aile droite s’arrache après avoir frappé un chêne puis le fuselage heurte violemment le sol et suite à la perte de l’aile gauche il se met à rouler sur lui-même. 

Jack Davis, qui a repris de l’altitude et qui tourne autour du point de chute, a cette pensée : « Si quelqu’un réchappe à ce crash ça tiendra du miracle.»

Et il a raison car ceux qui ont survécus à l’accident et certains sérieusement brûlés, sont tués alors qu’ils évacuent les restes de l’appareil. Les réservoirs de carburant internes explosent et les munitions qui étaient à bord éclatent et fusent dans tous les sens, fauchant quelques rescapés qui tentent de s’éloigner.

Kurt Frosch, légèrement blessé et qui a réussi à se glisser dans un des fossés bordant le champ où il a « posé » son appareil, raconte : « Devant moi apparaît tout à coup une silhouette et je l’interpelle. La silhouette s’arrête, inerte, mais…mais c’est Jupp, notre deuxième radio ! Il est dans un état horrible, son visage est entièrement brûlé et il porte des traces de brûlures partout sur le corps. » 

Il continue : « Ensemble nous nous traînons jusqu’à la route (la route Bourges-Moulins qui borde le champ). Je dépose Jupp dans le fossé, le pauvre, il est à bout. Une voiture arrive…l’officier me parle en anglais. Je lui dis que je suis allemand et alors tout va très vite. Jupp est chargé à l’arrière de la voiture et le lieutenant nous emmène vers Bourges à vive allure. » 

Les militaires qui arrivent sur les lieux, devant ces aviateurs brûlés et en haillons et suite au bombardement de la base, pensent avoir affaire à l’équipage de l’un des appareils américain et plusieurs témoignages allemands mentionnent le fait que les premières questions ont été posées en anglais.

Revenons un instant aux Lightnings du 77th FS. Alors qu’ils reprennent de l’altitude pour rejoindre les B-17 qui en ont pratiquement fini avec leur bombardement, ils aperçoivent un autre appareil allemand qui tente de s’échapper au ras du sol. C’est un Heinkel 111 de la IV./KG55, unité habituellement basée à Dijon mais qui vient sur Avord dans le cadre de ses exercices pratiques, qui essaie lui aussi se soustraire à la vue des appareils U.S. mais qui va subir un sort identique à celui du Fw-200 Condor (2).

Le Fw-200 Condor est tombé dans un champ au lieu-dit « Les Maisons Noires », commune d’Annoix, en face de la ferme qui se trouve de l’autre côté de la route Bourges - Moulins. C’est le fermier et son fils âgé d’une quinzaine d’années, des réfugiés des Ardennes, qui vont porter les premiers secours aux membres d’équipage.

La factrice de l’époque se souvient : « Venant à vélo d’Annoix, j’avais déjà remarqué de la fumée tout en pédalant dans la petite côte qui mène au carrefour de la route de Bourges. En arrivant à la ferme j’ai aperçu à peu près au milieu du champ, les morceaux d’un gros avion qui brûlaient. En entrant dans la cuisine j’ai découvert des hommes allongés sur le sol qui hurlaient de douleur, tous gravement brûlés, les vêtements en lambeaux…un spectacle atroce qui a marqué ma mémoire. »

A l’arrivée des autorités allemandes les blessés sont emmenés vers l’Hôtel-Dieu de Bourges pour y recevoir les premiers soins et sont ensuite dirigés, dès que leur état le permet, vers l’hôpital militaire de la Luftwaffe à Orléans où les plus atteints y resterons jusqu’à l’été. Sur l’équipage de dix hommes ont compte cinq morts et cinq blessés et comme dit l’un des « survivants », le co-pilote Kurt Frosch : « Je dis toujours que cette journée est mon deuxième jour de naissance.» 

Les morts quant à eux sont inhumés le 8 février, en compagnie de l’équipage du Heinkel He-111, avec les honneurs militaires dans le carré militaire du cimetière St Lazare de Bourges.

(2) Quelques instants avant l’attaque de la base, un bombardier bimoteur Heinkel He-111 appartenant à la 11. Staffel de la Kampfsgeschwader 55 a réussi lui aussi à décoller in-extremis avant l’arrivée des premiers bombardiers américains. 

Le IV./ Gruppe de la KG55 – auquel appartient la 11. Staffel – est basé à Dijon depuis fin mars 1943 et  est alors commandé par le Major Joseph Schirmböck. C’est un Ergänzungsgruppe, un Groupe de complément chargé de former ses jeunes équipages au vol, à la navigation et au bombardement avant que ces derniers n’aillent compléter les Groupes opérationnels de l’unité (…alors sur le front Est). L’équipage de quatre hommes composé de l’Uffz. Otto Drees (pilote), de l’Ogefr. Ernst Albert (observateur), du Gefr. Hartmut Gehler (opérateur radio) et de l’Ofw. Karl Hasselbeck (mécanicien navigant) n’échappe pas à cette règle, sa moyenne d’âge est tout juste de 23 ans.

C’est justement un vol d’entraînement qui a conduit ces Jungen Hasen* ainsi surnommés par les équipages aguerris, à se poser à Avord. (*Jungen Hasen = Jeunes lièvres)

Après avoir terminé leur combat avec le grand quadrimoteur allemand Fw-200 les chasseurs américains P-38 Lightning remontent en altitude en effectuant un virage à droite qui va les conduire vers le nord en direction des « box » de bombardiers qui reviennent d’Avord. Ils viennent à peine d’atteindre les 300m d’altitude qu’ils aperçoivent sur leur gauche un appareil allemand qui tente de se soustraire aux regards en profitant de la proximité du sol. 

Les pilotes américains ont vite identifié l’appareil comme étant un He-111, ils basculent sur l’aile gauche et ont vite fait de le rejoindre. Les chasseurs fondent sur le bombardier en léger piqué en attaquant par éléments de deux appareils comme l’explique le 2nd Lt Robert L. Frakes : «  Nous avons effectué une passe sur lui en piquant et virant légèrement vers la gauche. J’ai ouvert le feu à 200 mètres pour finir à 90 mètres. J’ai remarqué que mes coups portaient tout autour du cockpit. Mon leader (le Lt Col. Montgomery) et moi nous avons alors dégagé à gauche très doucement puis nous avons grimpé pour regagner de l’altitude. »

Le pilote allemand compte sur la proximité du sol et la riposte de ses mitrailleurs pour se soustraire aux attaques des P-38 mais comme lors de l’attaque du Fw-200 abattu quelques minutes plus tôt, le nombre d’assaillants va rapidement sceller le destin du jeune équipage. Tout va maintenant très vite et toujours d’après le Lt Frakes « Le He-111 semblait perdre de l’altitude. Il s’est enflammé brusquement après avoir été mitraillé par l’un des avions qui me suivaient. »

Le 1st Lt Merle J. Gilbertson raconte son attaque : « Trois P-38 ont tiré sur l’appareil et je me suis glissé sous le troisième. Quand ce dernier a dégagé j’ai ouvert le feu plein arrière par rafales de 5 secondes pour rompre à 50 mètres. Mes coups ont porté sur le fuselage et à l’emplanture de l’aile droite. L’assemblage de la queue et l’aile droite ont semblés se désintégrer et de gros morceaux de l’aile ont volés à travers mon avion. » Le Heinkel est en flammes et dans quelques secondes ça en sera fini. 

Le 1st Lt. James M. Morris continue : « L’élément devant moi l’a dépassé rapidement, j’ai alors réduis les gaz et j’ai ouvert le feu à une distance de 400 mètres environ en tirant des rafales de 10 à 12 secondes pour dégager à 180 mètres du Heinkel. J’ai aperçu des morceaux qui se détachaient de l’aile et du fuselage.» 

Le train d’atterrissage dépasse maintenant sous l’aile droite, le pneu en flammes. « Le Lt Morris a tiré plusieurs rafales, sa dernière rafale a coupé l’aile droite à peu près en son milieu. L’appareil ennemi est alors passé sur le dos et s’est écrasé au sol dans une formidable explosion. » termine le Capt. Robert W. Homes qui vole en troisième position derrière Morris.

Entre quatre et six pilotes revendiquent des tirs sur l’avion allemand mais seulement trois d’entre eux seront crédités de la destruction de cet appareil. A eux trois ils ont tiré 194 obus de 20mm et 1895 balles de 12,7mm. Y avait-il des survivants dans le bombardier allemand ? C’est probable…mais la proximité du sol ne leur aurait pas permis de sauter en parachute. Le Heinkel s’écrase avec ses quatre hommes d’équipage dans une zone marécageuse à l’ouest de Bourges, près du hameau de Fenestrelay. 

L’équipage sera inhumé avec les honneurs militaires au cimetière St Lazare de Bourges en compagnie des cinq aviateurs du quadrimoteur tombé à Annoix mais ce que l’équipage de l’Uffz. Otto Drees ne saura jamais c’est qu’il a endommagé sérieusement l’un de ses assaillants. Le Lt. Frakes sera dans l’obligation d’effectuer un atterrissage ventral à son retour en Angleterre, son Lightning trop durement touché par les coups qu’il a reçus lors de l’attaque du bimoteur allemand.

Les restes du bombardier seront mis à jour en septembre 1997 lors des travaux de la rocade Est de Bourges reliant la route départementale No.976 à la route nationale No.151. Le terrain marécageux n’avait pas permis aux autorités allemandes de l’époque de dégager la partie avant de l’appareil enfoncée dans le sol. Les moteurs et un train d’atterrissage ont été restaurés par l’Association des Avions Anciens d’Avord et sont aujourd’hui visibles dans leur très intéressant Musée situé dans le village.